En Libye, les élections annulées en décembre n’ont jamais été reprogrammées. Et alors que les deux camps rivaux se disputent toujours le pouvoir, l’horizon demeure sombre pour les sept millions d’habitants, dont une majorité de moins de 35 ans.
Dans la rue commerçante du centre-ville de Tripoli, un ronronnement assourdissant occupe tout l’espace. Des dizaines de moteurs sont posés devant presque chaque boutique, comme celle d’Ahmed, qui vend des vêtements pour jeunes.
Tout un Monde / 8h15 / 4 min. / 07.07.2022
« On utilise ce générateur pour avoir de l’électricité, parce qu’on a deux coupures de 4 à 7 heures par jour. Je l’ai acheté pour 700 dollars, c’est trois fois mon salaire! Et puis, ça ne solutionne pas tout car il faut chercher le pétrole pour l’alimenter. Or on a aussi souvent des pénuries de fioul parce que la consommation augmente lors des pannes d’électricité: la plupart des stations essence n’ont pas de générateurs, donc les pompes ne fonctionnent pas », explique le commerçant, dépité.
« C’est un cercle de problèmes sans fin! Beaucoup de centrales électriques ont été réparées mais ça ne fonctionne pas. Pourquoi? A cause de la corruption! », ajoute-t-il.
La Libye est un Etat riche en pétrole, elle possède même les plus grandes réserves du continent africain. Cette année, l’or noir a encore rapporté plus de 7 milliards de francs suisses à l’Etat. Mais le pays est aussi l’un des plus corrompus au monde. Résultat, le système de santé est en ruines.
« Chez moi, il n’y a ni cliniques, ni médecins. J’ai un problème d’inflammation à la hanche mais ici, l’hôpital ne dispose d’aucun médicament. Il faut tout acheter à l’extérieur. Même les analyses, j’ai dû les faire dans un clinique privée. Cela m’a coûté 250 dinars (Ndlr environ 50 francs suisses) et maintenant mon budget est épuisé. Je n’ai plus d’argent pour poursuivre mon traitement », détaille Zahraa. Cette jeune femme, enseignante dans le sud du pays, a parcouru plus de 1000 kilomètres pour aller dans un grand hôpital public de la capitale. Elle est finalement repartie sans rien.
Les travailleurs du système hospitalier sont également les victimes directes de la crise. Walid a été interne pendant un an au service de réanimation, sans jamais recevoir de salaire.
« Je faisais des gardes de 24 heures, j’étais épuisé en échange de rien. On me disait, il faut attendre, il faut encore attendre. Je connais des médecins qui attendent d’être payés depuis trois ans », détaille-t-il. « Mais les vendredis et les samedis, ils ne restent pas à l’hôpital, donc souvent on avait des gens qui mourraient le week-end parce que l’unité était vide », ajoute-t-il.
Pour le jeune homme, cette situation lui fait presque regretter le règle de Mouammar Kadhafi: « Il y a 10 ans, on avait un dirigeant. Même si c’était un dictateur et un meurtrier, il savait gérer le pays. Aujourd’hui, on a plein de dictateurs et des milices qui vont détruire le pays », juge-t-il.
Mouammar Kadhafi a régné d’une main de fer la Libye avant d’être emporté par des révoltes puis une guerre civile pendant le printemps arabe. [Sabri Elmhedwi – Keystone].
Pour sortir du marasme et pour se préserver, Walid a l’intention de quitter le pays. Pour mettre toutes les chances de son côté, il a décidé de reprendre des études. Tous les jours, il révise dans l’espace de coworking crée par Lubna, une entrepreneuse de 28 ans qui l’a conçu comme un cocon pour sa génération.
« Quand j’étais à l’université, j’étais l’une des cheffes du syndicat, mais notre problème c’est qu’on n’avait jamais de lieu pour se rencontrer et pour lancer nos projets. Je rêvais d’un espace de travail partagé. J’ai pu rencontrer une dame propriétaire d’une salle en sous-sol qui était fermée et j’ai pu commencer en 2018. Cela a pris de l’ampleur et maintenant je possède deux branches », explique-t-elle.
« Il y a une salle commune, un centre de formation mais aussi 8 entreprises qui font de la décoration ou du numérique. Mais c’est très difficile de trouver un investisseur qui croit en vous et vous donne facilement de l’argent », admet-elle.
Pour aider les jeunes à se lancer dans la vie active, le gouvernement a créé une nouvelle bourse, un fonds de 400 millions de francs suisses. Un montant qui est pourtant uniquement dédié aux nouveaux époux, parce que le coût du mariage est devenu exorbitant dans le pays.
Une mesure que Mohammed, 30 ans, juge indispensable. Sans cette aide de 4000 euros, il aurait dû attendre encore 3 ans avant de pouvoir épouser sa fiancée et emménager avec elle.
« J’étais sous pression, j’ai économisé pendant deux ans mais ce n’était pas assez. Je gagne 400 euros, c’est beaucoup plus qu’un fonctionnaire, pourtant, c’est seulement grâce à cette bourse que j’ai pu terminer et meubler notre maison. C’est le seul gouvernement qui pense à nous pour une fois », estime-t-il.
Un avis qui n’est cependant pas partagé par tout le monde. « Ce n’est qu’un pansement! En plus, certaines filles ont été mariées pour que leur père prennent leur part de la bourse, parce qu’elle n’ont pas leur mot à dire dans le mariage. La vraie solution serait un plan pour le système de santé et une éducation gratuite et de bonne qualité pour tous », juge Arij, une ingénieure de 29 ans célibataire. Comme près de 3 millions de Libyens et de Libyennes, elle s’est inscrite sur les listes électorales, avec l’espoir, un jour, de pouvoir décider de l’avenir de son pays.
Ariane Lavrilleux/ther