La guerre en direct — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le théâtre de Marioupol est bombardé, et voici déjà les images quelques heures à peine après le drame. Karkiv, Nykolaïv, Kharkiv, villes martyres, affichent leurs rues défoncées, les immeubles abîmés. Les missiles ciblent un hôpital, une maternité, un centre commercial, des civils. Chacun peut le constater immédiatement. La noria des images défile. Le crime de guerre est évident.

Interpellé en coulisses, après l’intervention de Zelensky, Joe Biden décide soudain de qualifier Poutine de criminel de guerre. Inattendu. La porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki explique : Joe Biden a parlé « avec son cœur » et « sur la base de ce qu’il a vu à la télévision, les actions barbares d’un dictateur brutal, lors de l’invasion d’un pays étranger ». Il double le montant de l’aide militaire.

Les images de la guerre ont saisi les opinions publiques. Elles nous hantent. Les spectateurs de l’horreur exigent des mesures plus fortes, ils sont prêts à en payer le prix. Les multinationales cèdent devant le tollé général. Les gouvernements en tiennent compte dans leurs décisions.

Si le Conseil fédéral a fait évoluer le concept de neutralité après quelques jours de tergiversations, c’est aussi sous la pression des Suisses qu’il a vu se mobiliser et manifester. Le président Ignazio Cassis, que l’on a peu entendu ces dernières années, apparaît sur la Place fédérale, devant la foule pour donner du « my friend » à Volodymyr Zelensky. Lundi, il verse des larmes à la frontière polonaise.

Le discours sur le besoin de justice monte aussi. Ce n’est pas pour tout de suite. Mais les instances internationales investiguent. L’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, rappelle bien à propos que Poutine n’est pas seul à mener les opérations, qu’il est entouré de généraux. Tous devront rendre compte de leurs actes. Slobodan Milosevic n’est-il pas mort à La Haye ?

Géopolitique des émotions

La maîtrise de la communication est essentielle. Elle sera peut-être cruciale, in fine. Dominique Moïsi a développé il y a quelques années le concept de géopolitique des émotions. Qui montre que les sentiments, les passions, ne sont pas sans influence sur la marche du monde. Dans ce conflit, l’horreur croissante de la guerre, et parce qu’elle est exposée heure par heure, ne laisse personne indifférent. Il est probable que la Realpolitik, chère à Henry Kissinger, et qui prévalait il y a peu encore dans nos relations avec Poutine, ne soit remise en cause pour longtemps.

Poutine peut-il détourner le fleuve de l’information ? Les réseaux sociaux sont coupés en Russie. Le mot guerre interdit. Les médias indépendants fermés. La télévision diffuse le discours officiel du Kremlin. L’ambassadeur de Russie à Genève dit à la RTS que l’armée russe essaie de « bombarder de façon très délicate ». Le panneau brandi par Marina Ovsiannikova en plein journal télévisé, quelques affiches, des stickers ici et là, les appels à manifester de Navalny depuis sa prison, les premières annonces mortuaires dans les journaux régionaux, sont les manifestations diverses d’une opposition courageuse, mais timide, encore peu visible.

Belmondo plutôt que de Gaulle

On l’a déjà dit, le président ukrainien a gagné la guerre de la communication. Il a le mot juste pour chacun. Ici, Pearl Harbor, le 9/11, là Churchill, Shakespeare, Verdun. Aux parlementaires français qui attendaient la figure de de Gaulle, il convoque Belmondo. L’acteur, plein de panache, prêt à prendre tous les risques, plutôt que le général résistant, mais exilé.

La question est de savoir si cette maîtrise de la communication peut faire basculer le conflit.

André Crettenand