Au suivant ? La question est abrupte. Provocante, sans doute. Inconvenante, pas autant que cela. L’invasion de l’Ukraine a installé l’impensable au cœur de la géopolitique européenne. La trentaine de missiles qui se sont abattus le weekend dernier à 20 kilomètres de la frontière polonaise est de ce point de vue-là une mise en garde assourdissante. Elle a été entendue comme telle.
Tout l’Est tremble. Aux portes d’un conflit meurtrier, spectateurs horrifiés des bombardements de civils, connaisseurs intimes, depuis longtemps, de la fureur de Vladimir Poutine, les pays frontaliers avouent leur peur, s’interrogent, se préparent au pire. Autrefois, quand ils nous expliquaient la crainte du retour de l’occupant russe, nous étions sceptiques, railleurs. Nous avons appris la prudence. Si l’Histoire ne se répète pas, elle peut bégayer.
Varsovie, Palais de la culture, le 18 mars 2022.
« La réponse est toujours dans les cartes », relevait avec justesse Salomé Zourabichvili, la présidente de la Géorgie au « 19h30 » de la RTS il y a quelques jours, dénonçant la théorie de l’encerclement inventée par Poutine.
Nous devons donc écouter l’Est avec plus d’attention. La présidente Zourabichvili explique les raisons de son inquiétude : son pays est déjà amputé de 20% du territoire. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, deux provinces sécessionnistes sont soutenues à bout de bras par la Russie et restent des zones de tensions.
La Moldavie, ensuite, à quelques encâblures d’Odessa, est en première ligne. Elle connaît déjà une Transnistrie insurgée, appuyée par les Russes. On estime que 1500 soldats russes y sont stationnés. Poutine pourrait être tenté de faire la jonction entre l’ukrainienne Odessa et la Transnistrie, et passer précisément par la Moldavie.
Ces deux pays ont fait une demande d’adhésion rapide à l’Union européenne. Le Sommet européen de Paris vient de les doucher, en rejetant toute procédure d’urgence.
Ces territoires perdus, auxquels il faut ajouter bien sûr la Crimée, ne retenaient pas l’attention jusqu’ici. Les coups de boutoir de l’armée russe semblaient ponctuels, dérisoires. L’invasion de l’Ukraine change tout. Considérées dans leur ensemble, ces zones conquises militairement dessinent une avancée guerrière et territoriale plus inquiétante que la fameuse progression de l’OTAN à l’Est.
Les pays Baltes, la Roumanie, la Pologne avouent les mêmes craintes. Mais ils font partie de l’OTAN. Ils se félicitent d’avoir fait très tôt le bon choix. L’adhésion à l’OTAN était une priorité bien avant l’adhésion l’Union européenne. Ils savaient quel en était l’enjeu. Ils se réconfortent, en comptant sur le parapluie défensif. Mais là encore, l’improbable n’est plus exclu.
La frappe russe sur la base militaire visait un centre d’entraînement de soldats étrangers. C’est aussi là qu’arrivent les armes envoyées par les Occidentaux. Elle accueille à l’occasion les exercices conjoints entre l’armée ukrainienne et l’OTAN. La Pologne est de fait la plaque tournante du soutien logistique à l’Ukraine. Elle y voit une source supplémentaire d’être dans le viseur de Poutine. Ce qui ne freine pas le formidable élan de solidarité dont les Polonais font preuve depuis le début de l’invasion.
Les pays de l’Est, comme on disait autrefois, tremblent, et envisagent avec effroi qu’un nouveau rideau de fer soit érigé, et qu’ils ne se retrouvent par les ruses de l’Histoire du mauvais côté. La perspective d’un nouvel ordre russe ne les enchante guère. Ils ont rejoint bien vite la famille européenne, oubliant un peu leur contestation furieuse des droits fondamentaux. Ils s’effrayent désormais à l’idée qu’on leur impose un autre art de vivre.
La visite surprise des premiers ministres polonais, tchèque et slovène à Kiev, ville assiégée, doit être lue dans ce contexte. Une mission de soutien moral, d’autant plus essentielle à leurs yeux qu’ils savent l’Histoire.
La Lettre internationale du 19 mars 2022 : Peur à l’Est – oligarques, ma cassette! – Mukwege, l’appel du Nobel – Barbara Hendricks s’engage – l’humanitaire au théâtre