La France fait des histoires

14 mai 2021

On se dispute sur le personnage : est-il un conquérant magnifique, un héros, ou un tyran sanguinaire et esclavagiste ? Faut-il louer ou détester Napoléon ? Admirer, ou pas, Robespierre ? Célébrer la Commune de 1871 ? Regretter la condamnation à mort du roi ? Aimer de Gaulle ? La France chérissant par nature la controverse, l’Histoire n’y échappe donc pas.

Aucun pays ne s’y complaît autant. L’Histoire est le livre inépuisable des références. On l’ouvre à tout moment. Un patron qui envisage de fuir le pays et de payer ses impôts en Belgique, un journal titre aussitôt sur la « fuite à Varennes ». La récente tribune alarmiste des généraux, c’est un nouveau « putch d’Alger ». Les « Cent jours » sont automatiquement décomptés lors de toute prise de fonction. Victor Hugo évoquant la Bastille disait que son spectre hante encore la France.

Le 19h30 / 2 min. / 5.05.2021

Le rappel d’histoire est une sorte d’appel à témoin, la référence absolue, l’argument décisif. L’Histoire ne se répète pas, mais on veut croire qu’elle bégaye volontiers.

Il y a quelques semaines, Anne Hidalgo, maire de Paris, donnait une petite commémoration du côté de Montmartre en souvenir des communards. Elle a vu des manifestants furieux l’invectiver, jugeant la cérémonie trop bourgeoise. La Commune est-elle le symbole de la juste révolte populaire ou seulement une sanglante guerre civile ? Gauche et droite s’affrontent.

Il y a quelques mois, des manifestants gilets jaunes exhibaient la tête du président Emmanuel Macron au bout d’une pique à l’image des cortèges sinistres des révolutionnaires.

La France peut afficher un casting de prestige : des victoires éclatantes, des défaites terribles, mais que Victor Hugo a réussi à sublimer malgré tout, des figures légendaires, Jaurès, Blum, de Gaulle, et même un peu Mitterrand en ce moment. La France fut grande. Convoquer les mânes lui fait du bien. Car il y a toujours l’espoir qu’un peu de cette gloire ruisselle jusqu’à aujourd’hui. Une machine à fabriquer des souvenirs et de l’espérance.

Tout cela est plutôt sympathique et témoigne d’une grande nation. La question aujourd’hui est de savoir si les leçons du passé portent au loin. On connaît toutes ces belles phrases où la lecture d’autrefois aiderait à aborder l’avenir. Mais on en doute. Dans un paysage politique décomposé, la nostalgie n’en prend que plus de relief. Le passé permet-il vraiment d’esquisser le futur ? Va-t-il nourrir la réflexion alors que les sondages placent Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle ? L’enjeu est autrement important qu’une dispute sur l’histoire.

Nous, Suisses, nous avons nos mythes à nous, moins prégnants, que l’on convoque moins souvent. Car on a la faiblesse de croire que Marignan n’explique pas trop le présent. Nous n’éprouvons pas le besoin de les brandir comme autant de bonnes raisons de ne pas agir. Ou si nous le faisons, nous sommes conscients de sacrifier à la légende.

Un geste artistique en quelque sorte.

André Crettenand