La France en colère après la rupture par l'Australie d'un énorme contrat d'armement — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ce « contrat du siècle » signé en 2019 représentait le plus important contrat pour du matériel de défense jamais passé par un industriel français. Il s’agit donc d’un coup dur pour l’industrie française.

« Décision grave »

La fureur était palpable jeudi en France. « C’est vraiment, en bon français, un coup dans le dos », s’est indigné le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian sur France Info, se disant « en colère, avec beaucoup d’amertume ». La « confiance est trahie », a lancé le ministre qui avait signé le contrat lorsqu’il était ministre de la Défense.

Au même moment, la ministre des Armées Florence Parly déplorait sur RFI « une très mauvaise nouvelle pour le respect de la parole donnée » et une décision « grave » en matière de politique internationale.

Coup dur mais pas mortel pour Naval Group

« Le Commonwealth d’Australie n’a pas souhaité engager la phase suivante du programme, ce qui est une grande déception pour Naval Group qui proposait à l’Australie un sous-marin conventionnel de supériorité régionale avec des performances exceptionnelles », a déclaré jeudi le groupe français dans un communiqué.

Quelque 650 personnes travaillaient en France, essentiellement dans les bureaux d’étude, sur ce contrat, qui représente 10% du chiffre d’affaires de l’entreprise. Mais si sa rupture est « conséquente », elle ne « remet pas en cause l’avenir de Naval Group », estime-t-on au sein de l’entreprise.

Enjeux stratégiques

La rupture du contrat avec Naval Group devrait coûter plusieurs centaines de millions de dollars d’indemnités à Canberra, selon la presse australienne. Elle s’est faite au profit de sous-marins à propulsion nucléaire qui seront conçus avec l’aide des Etats-Unis et du Royaume-Uni, dans le cadre d’un nouveau partenariat de sécurité et de défense entre les trois pays qui va constituer un défi technique et financier pour l’Australie.

Lire également: Nouvelle alliance stratégique entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis

Pour Euan Graham, de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), la décision australienne marque le « triomphe des impératifs stratégiques sur les impératifs économiques » (voir encadré).

Pas d’exportation de matériel nucléaire

Les sous-marins destinés à l’Australie étaient en réalité des versions conventionnelles des sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda dont la France commence à se doter.

Une coopération nucléaire était impossible, affirme le directeur de l’Institut français des relations internationales Thomas Gomart, car « la France s’interdit d’exporter du matériel militaire nucléaire, parce que c’est le coeur de sa souveraineté ».

Paris assiste cependant depuis une dizaine d’années le Brésil dans le développement des compétences pour se doter de son propre sous-marin nucléaire.

jop avec agences

Course à l’armement inquiétante dans le Pacifique

La décision australienne de se doter de sous-marins nucléaires souligne la montée en puissance d’une marine chinoise de plus en plus pressante dans le Pacifique.

En rompant ce contrat, l’Australie a choisi d’accroître encore ses capacités: les sous-marins nucléaires disposent d’une autonomie en plongée accrue et sont plus difficilement repérables que les sous-marins conventionnels, même si les technologies les plus récentes tendent à réduire cet écart. « C’est un changement de besoin », a résumé le Premier ministre australien Scott Morrison.

Comme d’autres, l’Australie s’inquiète d’une marine chinoise de plus en plus pléthorique. Fin 2020, Pékin disposait d’un total de 360 navires de combat de surface et de sous-marins, et elle devrait disposer de 425 bâtiments en 2030, selon l’Office du renseignement naval américain.

Pékin dispose notamment de six sous-marins nucléaires lanceurs d’engins porteurs de missiles nucléaires (SNLE), et d’une quarantaine de sous-marins d’attaque, dont six nucléaires, selon le Military Balance. À titre de comparaison, la totalité de la flotte mondiale des Etats-Unis compte 297 bâtiments, dont 21 sous-marins d’attaque et huit SNLE basés dans le Pacifique, selon l’US Navy.

Entre 2015 et 2019, les chantiers navals chinois ont construit 132 bâtiments, contre 68 pour les Etats-Unis, 48 pour l’Inde, 29 pour le Japon, 17 pour la France, 9 pour l’Australie et 4 (dont deux porte-avions) pour le Royaume-Uni, selon une étude de la publication spécialisée Janes réalisée l’an passé.

Cette frénésie chinoise a des conséquences dans toute la région, conduisant de nombreux pays à déployer une stratégie visant à interdire à la puissance chinoise de se déployer à proximité de leurs côtes. Cela passe notamment par l’acquisition de sous-marins. Enfin, signe des tensions dans la région et de son intérêt, la France a pour sa part achevé début 2021 le déploiement dans le Pacifique de l’un de ses sous-marins nucléaires d’attaque, l’Emeraude, une première depuis 2001.