Elle n’est pas facile à saisir cette France dans l’effervescence quinquennale de la Présidentielle. Elle l’est encore moins en ce mois de guerre en Europe où toutes les certitudes vacillent, où les programmes électoraux, élaborés de longue date, ne sont plus à jour. La France, nous l’aimons, et la détestons. Car elle fascine, et elle nous agace. Première de la classe par la brillance de ses analyses et le brio de ses discours, elle se pose là avec des airs importants que l’on moque aussitôt.
Richard Werly, reporter de longue date, tente l’introspection et nous propose son guide : « La France contre elle-même », (Grasset). Il est allé à la rencontre des Français. Pas n’importe où. Le long de la ligne de démarcation de 1940, choisissant d’explorer dans ce passé douloureux les ferments de la France, retrouvant dans la séparation d’hier les tourments d’aujourd’hui. Le procédé est audacieux, tant la France a changé depuis le siècle dernier. Mais le passé la hante, et la façonne. Elle le commémore, en brandit à chaque instant les épisodes comme autant de signes sûrs de son destin. A l’occasion, elle se repent.
La rencontre Emmanuel Macron-Vladimir Poutine le 7 février au Kremlin.
Ce que Richard Werly découvre, c’est que la France n’est pas l’archipel que les politologues parisiens décrivent. Au concept théorique, le reporter préfère le vécu des communes et des villages le long de la ligne qui courrait de la Suisse au centre de la France, puis plongeait vers le sud, vers Bordeaux. On y entend la France rurale, la France invisible, la « France du vide » qui n’a rien à voir avec les zones péri-urbaines, urbanisées à souhait, jardins garnis des grandes surfaces commerciales. On y écoute les voix des loin de Paris, des oubliés, qui composent tant bien que mal avec les décrets de l’administration centrale.
C’est aussi la France éternelle, qui a réussi à se réunir après la guerre, souvent grâce à un récit recomposé, fait de résistance et d’exploits. Une France de la lenteur que Paris veut bousculer, changer, on ne sait plus pourquoi.
Personnellement, j’y ajouterais une composante psychologique. Que le président Macron révèle intensément en ces jours de guerre. Le président parle à Poutine, il est allé au Kremlin, il rêve de mettre fin à la guerre, d’en être le démiurge habile et célébré. La France voudrait jouer un rôle dans le monde. Retrouver la grandeur de la France, c’était d’ailleurs l’un des thèmes majeurs de sa campagne victorieuse de 2017.
Ce souhait de puissance n’est pas toujours du goût des Européens. On soupçonne la France de jouer toute seule. On voit ses entreprises rechigner à quitter la Russie. Son antiaméricanisme viscéral, sa méfiance du libéralisme, une certaine fascination pour le pouvoir central expliquent sans doute aussi ses atermoiements. A côté d’un Biden déchaîné, Macron semble soudain tendre.
Les Français rêvent de grandeur mais se soucient peu de politique internationale.
Paradoxalement, les candidats à la Présidentielle se plaignent qu’il n’y ait pas de débat. Comme si la guerre n’offrait pas l’opportunité de parler de défense, de l’avenir de l’Europe, de la relation avec l’OTAN, de la politique énergétique, de l’indépendance agricole, de la réindustrialisation.
Les Français rêvent de grandeur mais se soucient peu de politique internationale. Mais quand le monde ne les écoute pas, ils s’en émeuvent. Comme lorsque ce Poutine impudent se joue de leur président, lui ment, ne lui obéit point. Comme en Afrique, leur zone d’influence, où les Maliens et les Centrafricains leur préfèrent les Russes. Ou cette Australie qui rompt au dernier moment sa promesse d’achat des sous-marins pour pactiser avec les États-Unis.
Autant de blessures d’amour-propre qui leur font mal et expliquent aussi leurs états d’âme fréquents, leurs soubresauts sauvages, leur sentiment du déclin, la déprime.
La Lettre internationale du 2 avril : Genève plein gaz et pétrole – low cost fin? – apocalypse glaciale – France vague à l’âme – Et aussi: Zep-Polanski-Dicker