La dernière forêt primaire d'Europe balafrée par un mur frontalier entre la Pologne et la Biélorussie — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Selon Adam Bohdan, qui est également membre d’une association de protection de la nature, il s’agit d’une « catastrophe » pour la forêt de Bialowieza, qui abrite les dernières populations de bisons en liberté d’Europe.

La forêt de Bialowieza abrite les dernières populations de bisons en liberté d’Europe. [DOMINIKA ZARZYCKA – NURPHOTO VIA AFP].

« Jusqu’à présent, c’était un écosystème forestier naturel très stable », souligne Michał Żmihorski, directeur de l’Institut de recherche polonais sur les mammifères, basé à l’entrée du parc national. « La plupart des animaux pouvaient facilement traverser la frontière. Et c’est fondamental pour garder leurs populations bien connectées des deux côtés, notamment pour les loups, les lynx et les autres prédateurs. Maintenant, la situation est différente. Nous pensons que le mur empêche ces déplacements. »

Coupes de bois par l’armée

Michał Żmihorski critique le principe même de ce mur et, selon lui, la crise migratoire entre la Pologne et la Biélorussie n’a pas été réglée avec cette nouvelle infrastructure. « Les gens traversent toujours la frontière. Nous rencontrons encore des réfugiés venant de l’Est dans la forêt. Les migrants continuent de passer au-delà du mur: par-dessus, par-dessous ou en coupant les barbelés. Ceux qui sont vraiment motivés peuvent traverser, mais les animaux, eux, ne peuvent pas le faire. »

Les scientifiques ont beaucoup de mal à évaluer l’impact écologique de la barrière, surtout qu’ils ne peuvent mener aucune étude aux abords du mur. En effet, l’armée interdit de s’en approcher à moins de 300 mètres. Depuis le début du conflit en Ukraine, la présence de soldats à la frontière biélorusse a augmenté et des camions militaires transportent régulièrement du bois.

Pour le guide touristique Adam Bohdan, ces coupes de bois ne respectent pas les enjeux de protection qu’il défend: « Il y a de plus en plus de soldats dans la forêt. Ils abattent des arbres pour faire des feux, car ils vivent ici maintenant. Je comprends qu’ils soient là, la situation est particulière, mais ils utilisent ce bois, et ils ne devraient pas le faire. »

Site de « très grand qualité »

Bogdan Jaroszewicz, professeur de biologie et directeur de la Station géobotanique de Białowieża, espère que le gouvernement polonais prendra en compte l’urgence écologique: « Ce dont nous avons besoin maintenant, après la construction de cette barrière, c’est de développer la conservation de la nature, d’augmenter les niveaux de protection dans la forêt de Białowieża, en particulier du côté polonais, au sein de l’Union européenne. »

Mais la guerre en Ukraine a largement compromis la coopération entre les scientifiques polonais et biélorusses. « Il s’agit d’un site naturel de très grande qualité et de très grande importance, inscrit en tant que bien transfrontalier à l’UNESCO », souligne Bogdan Jaroszewicz. « Forcément, avec la construction de ce mur, nous perdons l’intégrité du site et, de fait, ce site considéré comme patrimoine mondial transfrontalier n’existe plus, parce qu’il n’est plus transfrontalier. C’est un autre effet négatif de cette barrière. »

Bogdan Jaroszewicz, professeur de biologie et directeur de la Station géobotanique de Białowieża

L’UNESCO a inscrit la forêt de Białowieża au patrimoine mondial de l’humanité il y a quarante ans et coordonne les actions entre les deux pays. Mais depuis l’agression russe, les relations, déjà tendues, se sont encore dégradées.

Près de 400 millions de francs

« La situation est désormais beaucoup plus compliquée, parce que cette coopération est presque impossible », commente Bogdan Jaroszewicz. « Pas seulement à cause du mur, mais en raison de la situation politique entre la Pologne et la Biélorussie, notamment avec l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe en Ukraine. Il faut voir tout cela dans un contexte politique plus large. »

Mais les scientifiques regrettent que les décisions politiques prennent en compte les défenses des frontières plutôt que l’urgence écologique. Pour faciliter les travaux, les lois environnementales ont d’ailleurs été temporairement levées. L’Union européenne, elle, ne s’est pas positionnée sur les répercussions du mur.

Près de deux milliards de zlotys, soit près de 400 millions de francs, ont été dépensés pour construire cette barrière. Une somme qui aurait pu financer la protection de cet écosystème si particulier pour l’humanité, regrettent les chercheurs.

Martin Chabal/vajo