La Commission européenne intègre le gaz et le nucléaire à sa „taxonomie verte” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le texte doit aider à canaliser des investissements privés vers des activités réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Comparativement à d’autres sources fossiles, comme le pétrole ou le charbon, le gaz émet moins de GES, tandis que les centrales nucléaires n’en émettent pas du tout.

Faire partie de cette classification permettra une réduction importante des coûts de financement pour les projets concernés. Il s’inscrit dans l’objectif de neutralité carbone dans l’UE en 2050.

« Aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape importante dans la transition » vers cet objectif. « Nous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de 30 ans pour y parvenir », a déclaré la commissaire européenne aux Services financiers Mairead McGuinness.

Clivage franco-allemand

Mais le projet divise les 27 Etats membres de l’Union européenne (UE). La France, qui veut relancer sa filière nucléaire, et des pays d’Europe centrale qui doivent remplacer leurs centrales à charbon, comme la Pologne ou la République tchèque, ont soutenu l’initiative.

Face à eux, un petit groupe de pays menés par l’Allemagne, dont l’Autriche ou le Luxembourg, a bataillé pour exclure l’atome. Berlin, qui exploite toujours des centrales à charbon, mise sur l’essor des éoliennes et du solaire, ainsi que sur de nouvelles centrales au gaz pour assurer son approvisionnement, en dépit des critiques sur sa dépendance à la Russie.

« Le gouvernement allemand rejette une telle classification. Nous sommes opposés à ce que l’énergie nucléaire soit qualifiée de durable », a répété mercredi un porte-parole à Berlin.

L’Autriche menace d’une action en justice

Enfin, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont contesté le label « vert » pour le gaz dans une lettre commune.

Dans la foulée de l’annonce de la Commission, le gouvernement autrichien a menacé d’engager une action en justice contre la création de ce label. « Nous allons préparer le terrain juridique dans les prochaines semaines, et si cette taxonomie prend effet, nous lancerons une procédure devant la Cour de justice de l’UE », a déclaré la ministre autrichienne de l’Environnement.

Colère chez les écologistes

Ce projet provoque la colère de nombreuses ONG environnementales. Les écologistes dénoncent l’inclusion des centrales à gaz, émettrices de CO2, et du nucléaire, en raison de ses déchets radioactifs et du risque d’accident.

L’ONG écologiste et antinucléaire Greenpeace a dénoncé « le plus grand exercice de ‘greenwashing’ de tous les temps » et « une tentative de hold-up » pour « détourner des milliards d’euros qui étaient destinés aux renouvelables ».

Face à ces critiques, Bruxelles argue que les énergies renouvelables, déjà labellisées par la Commission et qui restent une priorité de la politique européenne, ne pourront pas réponde à elles seules à la demande croissante d’électricité, en raison notamment de leur production intermittente.

D’où le besoin, à titre transitoire, de favoriser aussi l’investissement dans des moyens stables et pilotables.

La balle au Parlement

En outre, la Commission européenne fait valoir que le texte favorise la transparence en obligeant les entreprises à déclarer l’ensemble de leurs activités gazières et nucléaires, permettant aux investisseurs qui le souhaitent de les exclure de leur portefeuille.

Le document avait été envoyé aux 27 Etats-membres le 31 décembre. Il a peu évolué depuis, malgré les critiques. Le Parlement européen a désormais une période de quatre à six mois pour rejeter le texte par un vote à la majorité simple. Le Conseil européen pourrait aussi théoriquement s’y opposer, à condition de réunir 20 Etats membres, ce qui paraît hors de portée.

afp/jop

Conditions strictes

Le texte impose des conditions strictes à la labellisation du nucléaire et du gaz, notamment une limitation dans le temps et l’obligation de recours aux meilleures technologies disponibles.

Pour la construction de nouvelles centrales atomiques, les projets devront avoir obtenu un permis de construire avant 2045. Les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront avoir été autorisés avant 2040.

Concernant le gaz, la Commission impose un plafond d’émissions de CO2: moins de 100 g par kWh, un seuil inatteignable avec les technologies actuelles selon des experts. Mais une période de transition est prévue.

Quelle place pour le gaz et l’atome dans un monde « sans carbone »?

Le gaz est une énergie fossile, responsable d’environ 22% des émissions mondiales de CO2 en 2021, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Il émet cependant 30% de CO2 en moins que le pétrole, et 50% de moins que le charbon. De plus, il pollue moins l’air ambiant en dégageant moins de soufre et d’oxydes d’azote.

Sa production génère en revanche d’importantes fuites de méthane, gaz ultra-réchauffant.

Le nucléaire, une fuite en avant?

L’énergie nucléaire, quant à elle, présente l’avantage de ne pas émettre de CO2 lors du fonctionnement des centrales. Et même en analysant les émissions « grises » générées par le cycle de vie des centrales (construction/démantèlement) et par les émissions liées à l’extraction de l’uranium, l’atome émet moins de GES que l’énergie solaire.

Pour ces raisons, l’énergie nucléaire a pris un rôle accru dans de nombreux scénarios du GIEC, les experts climat de l’ONU. Mais il reste marqué par le risque d’accidents graves. Et, surtout, la question du traitement et du stockage à long terme de déchets hautement radioactifs demeure à ce jour irrésolue.

La France mise énormément sur de nouveaux réacteurs nucléaires. Déjà aujourd’hui, le pays tire 70% de son courant de l’atome. Elle table sur des réacteurs de nouvelle génération en 2035-2037. Mais « on n’a aucune garantie que l’appareil industriel français pourra produire des EPR dans des conditions économiques et de fiabilité satisfaisantes. C’est probable, mais pas garanti », fait remarquer Patrick Criqui, directeur de recherche émérite au CNRS. Toutefois, selon lui, « il faut maintenir l’option nucléaire ouverte », et regarder du côté des « petits » réacteurs (SMR) et des start-ups.

La possibilité du 100% renouvelable?

Le débat reste ouvert entre les différents experts sur la possibilité d’aller vers 100% d’électricité d’origine renouvelable. « C’est possible techniquement », relève Nicolas Berghmans, de l’Institut du développement durable (Iddri) à Paris. « Mais il y a des conditions – limiter les besoins – et des contraintes d’espace et d’acceptation sociale ».

Par ailleurs, les situations restent extrêmement différentes selon les différentes régions du monde, en particulier entre l’Europe et l’Asie. Et même au sein de l’Europe, les situations sont « extraordinairement différentes » d’un pays à l’autre, souligne Patrick Criqui.