La colère affreuse est entrée en lui — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le président français a revêtu le costume de diplomate européen, mais c’est bien le Français que Poutine a reçu. Et ce n’est pas exempt d’ambiguïté. La France se montre compréhensive envers le point de vue russe. Elle accepterait que l’Ukraine soit un territoire neutre, apaisé, une nation muette, « molle » peut-être pour user du vocabulaire de la députée européenne Nathalie Loiseau. Une nouvelle Finlande à qui on aurait aussi imposé la neutralité.

Mais les Ukrainiens se sont tournés vers l’ouest. Ils souhaitent se rapprocher de l’Europe. Ils comptent sur l’OTAN pour assurer leur protection. Ils l’ont exprimé bruyamment sur la place Maïdan, en 2014. Ils ne se tairont pas. On ne peut pas ignorer leur choix.

Poutine voit l’Europe faible. Lui, se sent fort. Il conduit une cyberguerre faite d’attaques informatiques et d’opérations de désinformation que les Ukrainiens jugent tout aussi menaçante que les mouvements de troupe. Il met en scène des manœuvres formidables. Les plus récentes, en Biélorussie, pourraient prendre l’Ukraine en tenaille. Il se prépare depuis très longtemps à contrer les sanctions économiques et financières. La rencontre avec Xi à l’ouverture des JO de Pékin lui a permis de s’assurer un appui décisif. Surtout, il est libre d’attaquer, prêt à en payer le prix. Il n’a pas de comptes à rendre.

Macron est allé à Moscou avec beaucoup d’abnégation et une dose de témérité, chevalier servant de l’Europe, prêt à deviser, laissant à Joe Biden le rôle menaçant. L’Europe entend les États-Unis hausser le ton, mais ignore si les menaces agiront ou non. Elle voit avec effroi les ambitions d’un autocrate prêt à tout pour rétablir son influence sur les ex-républiques soviétiques et son voisinage proche. Elle est désemparée devant le chantage que constitue le rassemblement de troupes aux frontières. Elle désespère de lire dans les pensées du maître du Kremlin.

L’arme atomique

Si ce n’est que « la colère affreuse est entrée en lui ». Dans une séquence inimaginable il y a peu encore, et digne de l’ère de la Guerre froide, Poutine a rappelé qu’il possédait l’arme atomique, suggérant qu’il était prêt à aller jusque-là si la guerre éclatait.

Il n’y a pas eu de moment « français » de la crise. Emmanuel Macron a tenté de séduire le vieux cacique, il lui avait fait autrefois les honneurs de Versailles, et reçu comme un roi. En vain. Les ors l’ont flatté mais ne l’ont pas ébloui. Il ne croit qu’aux rapports de force.

Poutine a tenu Macron à distance. Seul soulagement : quand on discute, on ne fait pas encore la guerre.

André Crettenand

La Lettre internationale du 12 février 2022 : Ai Weiwei se souvient, en français – Genève second souffle – la radio sauve – le mythe du déclin russe – Ukraine, ça discute