Kazakhstan, une révolte matée avec l'aide de la Russie — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Riche en ressources naturelles, le Kazakhstan a été dirigé d’une main de fer pendant trois décennies par Noursoultan Nazarbaïev, qui a laissé les rênes du pays en 2019 à Kassym-Jomart Tokaïev, tout en conservant une grande influence. Les détracteurs de l’ancien président l’accusent d’avoir permis une corruption généralisée au Kazakhstan, tout en assurant son enrichissement personnel et celui de sa famille qui possède des résidences luxueuses à l’étranger, notamment en Suisse.

Répression « féroce »

Tentant d’abord de calmer la contestation en limogeant le gouvernement et en concédant une baisse des prix du gaz, le président Tokaïev a ensuite choisi la force en appelant Moscou et ses troupes à l’aide.

Au cours d’une allocution télévisée, au soir du 7 janvier, il a même autorisé l’armée « à tirer pour tuer sur des « bandits armés et entraînés, locaux et étrangers ». « Je pense que l’état de férocité de la réponse des autorités kazakhstanaises (…) est à la hauteur de l’état de choc, de l’état de sidération dans l’esprit des dirigeants kazakhstanais », indique Michaël Levystone.

Selon l’AFP, au moins 225 personnes ont été tuées, plusieurs de milliers de personnes blessées et 10’000 personnes arrêtées. Les témoignages recueillis parmi les manifestants arrêtés font état de tortures. Certains disent avoir subi des décharges électriques.

Transition politique

D’un point de vue interne, les révoltes ont  permis une véritable transition politique entre Noursoultan Nazarbaïev et Kassym-Jomart Tokaïev. « Tokaïev s’était retrouvé à la tête de l’Etat sans être forcément l’ultime décisionnaire. Le président Nazarbaïev était toujours présent: il avait la haute main sur le Conseil de sécurité, qui était l’organe décisionnaire en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense », analyse Michaël Levystone. Selon lui, un vent de changement commence à souffler et « des proches de Nazarbaïev ont commencé à perdre leurs avantages ».

Michael Levystone, chercheur à l’Ifri

La façon dont les émeutes ont été réprimées laisse toutefois planer le doute dans la population du Kazakhstan qui craint qu’une forme encore plus sévère d’autoritarisme ne s’empare du pays. L’absence de réactions d’envergure au niveau européen et le soutien de Pékin au pouvoir en place nourrissent cette inquiétude.

Influence russe

Le soulèvement au Kazakhstan a également eu une conséquence sur le plan régional liée à la première intervention sur le terrain de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), relève encore Michaël Levystone. « Cette opération sonne comme une indiscutable victoire stratégique majeure pour la Russie », souligne l’expert de l’Ifri, qui y voit un message envoyé aux Occidentaux avec lesquels Moscou est pris dans d’âpres négociations autour du dossier ukrainien.

En tant qu’ancienne puissance tutélaire, la Russie entend conserver au Kazakhstan son influence historique, où 20% de la population est Russe. Elle reste son premier partenaire économique en Asie centrale. C’est aussi chez son voisin kazakh, à Baïkonour, que Moscou fait décoller ses fusées.

Trait d’union entre l’Orient et l’Occident, le Kazakhstan fait figure de pays hautement stratégique pour Pékin et Moscou. Ce pays immense, peuplé de 18 millions d’habitants mais cinq fois plus grand que la France, ouvre à la Chine le marché européen et constitue un carrefour essentiel de la route de la soie. « Les Occidentaux sont marginalisés en Asie centrale depuis des années. Les Américains ont dû quitter les bases militaires qu’ils exploitaient en Ouzbékistan et au Kirghizistan jusqu’en 2014 pour les besoins de l’opération en Afghanistan, poursuit Michaël Levystone. Je dirais que l’Asie centrale est aujourd’hui sous forte influence russe et chinoise ».

Portrait de l’opposante kazakhe Lira Baiseitova, réfugiée en Suisse:

Lira Baiseitova, une vie brisée après ses révélations sur le régime kazakh 

Olivier Kohler/jgal/afp