Journée historique samedi pour le nucléaire en Allemagne qui tire sa révérence — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les trois derniers réacteurs encore activité seront débranchés pour permettre à la première économie européenne de tourner la page 60 ans après la mise en service de sa première centrale atomique. L’Allemagne met ainsi en oeuvre la décision de sortir du nucléaire prise en 2002, et accélérée par Angela Merkel en 2011, après la catastrophe de Fukushima.

L’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, aurait pu tout remettre en question mais l’Allemagne maintient son cap. Privé du gaz russe dont Moscou a interrompu l’essentiel des flux, le pays s’est retrouvé exposé aux scénarios les plus noirs, du risque d’arrêt de ses usines à celui d’être sans chauffage en plein hiver.

Ecouter le développement dans La Matinale de vendredi: L’Allemagne fait ses adieux au nucléaire, mais l’opinion publique a tourné

Hésitations à cause du contexte

L’Allemagne n’a pas non plus cédé aux contestations intervenues face à l’augmentation des coûts de l’énergie.  A quelques mois de la date initialement fixée pour fermer les trois derniers réacteurs, le 31 décembre dernier, le vent de l’opinion a commencé à tourner: « avec les prix élevés de l’énergie, le sujet brûlant du climat, des voix se sont bien sûr élevées pour prolonger les centrales », témoigne Jochen Winkler, maire de la commune de Neckarwestheim, où la centrale du même nom vit ses dernières heures.

Le gouvernement d’Olaf Scholz, auquel participe le parti des Verts, le plus hostile au nucléaire, a finalement décidé de prolonger l’exploitation des réacteurs jusqu’au 15 avril. Cette décision permet de sécuriser l’approvisionnement.

Regarder le décryptage du 19h30 sur le retour du nucléaire à cause de la crise énergétique: Avec la crise énergétique, le nucléaire fait son grand retour. Le décryptage de Marie-Emilie Catier.

Pour le maire de la bourgade de 4000 habitants, dont plus de 150 travaillent à la centrale, « la roue a déjà tourné » et il n’était plus temps de « revenir en arrière ». Seize réacteurs ont été fermés depuis 2003. Les trois dernières centrales ont fourni 6% de l’énergie produite dans le pays l’an dernier, alors que le nucléaire représentait 30,8% en 1997. Entretemps, la part des renouvelables dans le mix de production a atteint 46% en 2022, contre moins de 25% dix ans plus tôt.

En cas de difficulté, l’Allemagne a déjà trouvé la solution. « Nous avons passé un hiver sans trop de problèmes », grâce à l’importation massive de gaz naturel liquéfié », dit Jochen Winkler.

Lire aussi: Sans gaz russe, l’Allemagne opère un virage énergétique à marche forcée

Avis divergents et inquiétudes

Le sujet controversé suscite des réactions des partis politiques. Pour les libéraux, c’est une menace de plus sur la sécurité énergétique de l’Allemagne. Pour les conservateurs, cela va relancer le charbon, même ponctuellement. Et 65% des Allemands auraient souhaité que l’on prolonge l’activité de ces réacteurs. Au contraire, pour les Verts c’est l’aboutissement de décennies de combat contre l’atome. Plusieurs manifestations sont prévues dans le pays demain pour célébrer ce qui pour eux est une victoire.

La fermeture des centrales nucléaires inquiète aussi pour les conséquences sur l’économie allemande. Les chambres de commerce et d’industrie estiment que cet arrêt définitif aura un coût mais Matthias Mier, expert énergétique à l’institut IFO de Munich interrogé dans La Matinale de vendredi, se veut plus tempéré.

« D’un point de vue économique, si on ne fait pas d’idéologie, une centrale nucléaire déjà existante, qui fonctionne en sécurité, produit du courant électrique bon marché. Donc, tant qu’une centrale nucléaire peut être exploitée en sécurité, elle produit du courant pas cher. Cela signifie qu’en théorie, oui, en théorie, on aurait pu laisser ces réacteurs en activité, cela aurait eu un effet positif sur les prix de l’électricité. »

Ecouter l’intégralité de son interview: L’Allemagne sort complètement du nucléaire: interview de Matthias Mier

Plus de renouvelable

Le rythme actuel de progression des renouvelables ne satisfait toutefois ni le gouvernement, ni les défenseurs de l’environnement et l’Allemagne n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans un sérieux coup de collier. Ces objectifs « sont déjà ambitieux sans la sortie du nucléaire – or chaque fois qu’on se prive d’une option technologique, on rend les choses plus difficiles », note Georg Zachmann, spécialiste des questions d’énergies pour le cercle de réflexion bruxellois Bruegel.

L’équation est encore plus complexe compte tenu de l’objectif d’arrêter toutes les centrales à charbon du pays d’ici 2038, dont un grand nombre dès 2030. Le charbon représente encore un tiers de la production électrique allemande, avec une hausse de 8% l’an dernier pour compenser l’absence de gaz russe.

L’Allemagne doit installer « 4 à 5 éoliennes chaque jour » au cours des prochaines années pour couvrir ses besoins, a prévenu Olaf Scholz. La marche est haute comparée aux 551 unités posées en 2022. Une série d’assouplissements réglementaires adoptés ces derniers mois doit permettre d’accélérer le tempo. « Le processus de planification et d’agrément d’un projet éolien prend en moyenne 4 à 5 ans », selon la fédération du secteur (BWE), pour qui gagner un ou deux ans serait déjà « un progrès considérable ».

Julie Marty avec agences

La Suisse peu touchée

L’arrêt des centrales nucléaires en Allemagne n’aurait que peu de conséquences pour la Suisse, selon Nadine Mounire, spécialiste section réseaux et Europe chez Elcom, interrogée par la RTS.

« Ça a un impact sur la capacité d’exportation de l’Allemagne vers la Suisse. Ces exportations peuvent être un peu plus difficiles, en particulier pendant l’hiver. Mais la disponibilité du nucléaire en France et du gaz en Russie restent les deux facteurs décisifs pour la sécurité d’approvisionnement en Suisse, également pour l’hiver prochain. »

« En soit, l’arrêt de ces centrales est un peu de deuxième ordre pour la Suisse », ajoute-t-elle.

Arrêter une centrale, mode d’emploi

Le jour J, pas d’interrupteur on/off à activer mais un ralentissement progressif. « À partir de 22 heures, nous réduirons la puissance de l’installation de 10 mégawatts par minute », explique-t-on à la centrale bavaroise d’Isar 2.

« Lorsque la puissance du réacteur aura atteint environ 30%, plus aucun courant ne sera injecté dans le réseau à très haute tension et le générateur sera automatiquement déconnecté du réseau électrique ». Même processus, peu ou prou, dans les turbines des centrales d’Emsland et Neckarswestheim.

Rendu moins puissant, le réacteur n’enverra plus d’eau à haute température et sous pression vers la salle des machines, où les turbines cesseront par conséquent de produire l’électricité injectée dans le réseau à haute tension.

Mettre une centrale nucléaire à l’arrêt est « un processus de routine » souvent utilisé lors d’inspections, souligne Jörg Michels, responsable de la division nucléaire chez l’énergéticien EnBW, exploitant de Neckarwestheim.

Sur plusieurs années

Dans les jours qui suivront, la réaction atomique en chaîne qui provient des barres de combustible va être « complètement stoppée » pour permettre « le refroidissement du cycle atomique de la centrale », prélude à son démontage, précise Jörg Michels. L’Allemagne a opté pour le démantèlement immédiat des centrales après leur arrêt sans passer par une phase de mise sous cocon.

Rendus inactifs, les 193 éléments combustibles au coeur du réacteur encore hautement radioactifs seront transférés dans une piscine de stockage d’un bâtiment adjacent. Ils y resteront immergés pendant 3 à 5 ans jusqu’à ce qu’ils soient emballés dans des conteneurs « Castor » pour être transportés le moment venu vers un lieu d’enfouissement.

Le démontage un à un des éléments de la centrale commencera, lui, « au début de l’année prochaine », une fois toutes les autorisations obtenues, selon Jörg Michels.

Les déchets radioactifs sont emballés puis transportés dans des conteneurs « Castor », puis enfouis. [John Macdougall – AFP]