JO: sport et droits humains scrutés depuis Genève — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Dans le cadre des Jeux olympiques de «2020», toujours nommé ainsi malgré leur report d’une année, le Comité olympique japonais a souligné que les JO seront définis par trois objectifs centrés sur le fait de donner le meilleur de soi, d’adopter et d’intégrer la diversité et de créer un héritage digne pour le transmettre aux générations futures. Or, les organisations de défense des droits humains ont déclaré que les JO n’avaient pas atteint ces deux derniers objectifs, avant même le début de la compétition.

Des organisations telles que Human Rights Watch ont souligné la discrimination historique du Japon à l’égard de la communauté LGBT. Une loi nationale pour protéger les personnes LGBT contre toute discrimination a d’ailleurs été refusée en avril dernier, malgré un soutien public à cette initiative.

Une récente étude a classé le Japon à l’avant-dernier rang de tous les États membres de l’OCDE concernant l’inclusion des LGBT, et le pays n’a pas un seul athlète ouvertement LGBT en compétition. Un rapport de Human Rights Watch publié cette année a aussi mis en lumière les préoccupations liées à la stérilisation forcée des personnes souhaitant engager une procédure de réassignation de genre. Ce même rapport souligne aussi la longue histoire d’abus physiques et sexuels dans le système sportif japonais, en particulier chez les athlètes enfants.

Critique au sommet

Les Jeux olympiques, événement sans nul doute le plus médiatisé au monde, font eux-mêmes l’objet depuis longtemps d’intenses critiques pour leur approche des droits humains, et pas seulement celle des pays hôtes. Basé à Lausanne, le Comité International Olympique (CIO) est régulièrement dénoncé pour son manque de responsabilité en tant qu’organisme autonome, qui, dans les faits, ne rend de compte à personne d’autre qu’à lui-même.

Souvent mêlé à des scandales liés à la corruption, les principales critiques adressées au CIO portent cette année sur ce que les athlètes et les organisations de défense des droits humains considèrent comme une répression du droit de manifester des athlètes.

Plus tôt ce mois, le CIO a publié de nouvelles lignes directrices pour la règle 50 de la Charte olympique, qui stipule qu’«aucune manifestation ou propagande politique, religieuse ou raciale n’est admise dans les sites, salles ou autres lieux olympiques.»

Si ces changements ont été bien accueillis dans l’ensemble – car ils permettent aux athlètes de manifester dans une certaine mesure – ces règles ont fait l’objet de bien plus de critiques que de louanges. En cause, les limites qu’elles imposent sur les moments et les lieux où les athlètes olympiques peuvent «exprimer leur point de vue». D’après les critiques, cela les prive de facto de leur droit à la liberté d’expression en vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies.

Les athlètes sont interdits de toute forme de manifestation lors de la remise des médailles, durant les cérémonies d’ouverture et de clôture, au sein du village olympique et sur les sites et terrains de jeu pendant la compétition – y compris mettre un genou à terre ou lever le poing pour soutenir Black Lives Matter. Les nouvelles lignes directrices autorisent les concurrents à exprimer leur point de vue sur le «terrain de jeu» avant le début de la compétition, à condition que leur acte ne soit pas «perturbateur» et ne cible pas «des individus, des pays, des organisations spécifiques ou leur dignité». Malgré la menace de sanctions, de nombreux athlètes ont publiquement déclaré leur intention de protester, et la semaine dernière, les équipes féminines de football suédoises, américaines et britanniques ont mis un genou à terre sur le terrain.

Le fait que le CIO ait modifié ses lignes directrices est toutefois salué comme un progrès par certains, y compris le Centre pour le sport et les droits humains, créé en 2018 et basé à Genève, qui a pour mission de travailler avec toutes les parties prenantes, y compris le CIO, afin de combler le fossé entre le monde du sport et les droits de l’homme.

Le travail du Centre comprend la collaboration avec les pays hôtes d’importants événements sportifs tels que les Jeux olympiques sur les questions de droits humains. Alison Biscoe, gestionnaire des programmes et des partenariats, a expliqué que le Centre travaille avec les organisateurs de Tokyo depuis plusieurs années sur des questions telles que la durabilité dans la chaîne d’approvisionnement et la formation contre la discrimination pour faire de ces JO «une expérience aussi inclusive que possible».

Au cours des derniers mois, leur priorité a surtout été de veiller à ce que les Jeux se déroulent en toute sécurité durant la pandémie, en priorisant la santé des athlètes et des officiels, ainsi que celle des travailleurs, bénévoles et employés locaux.

Depuis son lancement, le Centre a été impliqué dans beaucoup des affaires les plus connues liées au sport et aux droits humains, notamment la libération du footballeur bahreïni Hakeem al-Araibi de sa prison en Thaïlande, en 2019. Il s’est aussi impliqué sur les questions entourant la Coupe du Monde de la FIFA de 2022 au Qatar, qui a suscité des critiques internationales sur les abus des droits des travailleurs, et s’est investi dans la récente réforme du droit du travail de ce pays.

Une question bien plus large

Bon nombre de grandes fédérations sportives ont été au cœur de scandales cette dernière décennie, de l’éviction de communautés avant la Coupe du Monde de 2014 et les Jeux olympiques de 2016 au Brésil, aux transgressions des droits des LGBT en Russie, en marge des JO d’hiver de Sotchi en 2014.

Plus récemment, le CIO a essuyé de vives réactions après sa décision d’attribuer les Jeux olympiques d’hiver de 2021 à la Chine, où les violations des droits des musulmans ouïghours et d’autres minorités de la province du Xinjiang ont suscité l’indignation à l’échelle internationale, avec, à la clé, la menace de nombreux pays de boycotter ces JO.

Alison Biscoe a déclaré que ces affaires très médiatisées, qui ont suscité de nombreuses critiques de la part des groupes de défense des droits humains et des gouvernements, ont forcé les instances sportives à revoir leur manière de fonctionner. «Quel que soit le problème, toutes les instances sportives se retrouvent dans une certaine mesure dans une situation critique et se demandent si l’approche du statu quo fonctionne», a-t-elle ajouté.

Le CIO a ajouté des dispositions sur les droits de l’homme dans ses exigences de soumission pour tous les événements à partir de Paris 2024. Le choix de Milan pour les Jeux olympiques d’hiver de 2026, de Los Angeles pour les JO de 2028, et celle, la semaine dernière, de Brisbane pour 2032 laisse penser qu’à l’avenir les pays qui affichent un « meilleur » bilan en matière de droits humains seront plus susceptibles d’obtenir les Jeux que les pays où les abus sont bien documentés, telle que la Russie et la Chine. En 2020, le CIO a également publié un ensemble de recommandations sur la manière dont il intégrera les droits de l’homme dans son travail, afin de donner un autre exemple de sa volonté affichée d’éviter les critiques intenses du passé.

D’autres organismes sportifs, tels que la FIFA, ont commencé à mettre les droits humains à leur agenda, même si cela n’a pas mis un terme aux critiques sur les droits de l’homme entourant la prochaine Coupe du Monde. «Si les progrès sont lents, il ne fait aucun doute qu’il existe une adhésion croissante autour de la question des normes sur les droits humains dans le sport» confie Alison Biscoe. «La FIFA a été la première fédération internationale à adopter une politique des droits humains en 2017. Les gens pensent que ces questions sont prises en compte depuis longtemps, mais parler des droits humains dans le sport de manière aussi stratégique est en fait incroyablement nouveau.»

Or, si le monde du sport progresse sans aucun doute dans sa responsabilité en matière de droits humains, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais Alison Biscoe a déclaré que le simple fait que le Centre existe pour demander des comptes aux fédérations sportives représente déjà un grand pas dans la bonne direction. «En tant que membre de l’équipe qui a participé à la création de l’organisation, je pense que le fait qu’elle existe est déjà un succès assez important», conclut-elle.

Article de Pip Cook pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli

Lire l’article de Geneva Solutions en anglais.