Italie: la divine surprise

10 mars 2021

Mario Draghi fait figure de sauveur. Certains romantiques l’ont comparé à Cincinnatus, général retiré des affaires, reconverti à l’agriculture que les Romains angoissés vont chercher pour les tirer d’un mauvais pas. Retraité de la Banque centrale européenne depuis la fin 2019, témoignant d’un parcours professionnel et universitaire brillant, Mario Draghi a tout pour séduire. Y compris des Italiens sceptiques sur l’Europe. Il a réussi un tour de force en rassemblant sur son nom des formations politiques d’horizon très divers.

EPA/Filippo Attili

Mario Draghi, président du Conseil des ministres d'Italie.

La coalition qu’il a formée tient donc beaucoup à son prestige, à la promesse d’une renaissance, plus qu’à son programme et à ses projets de réforme. Nommer à la tête du gouvernement italien le chef banquier de l’Europe est un atout indéniable en ces temps difficiles et alors qu’il faut convaincre l’Union du bon usage des fonds qu’elle destine à la relance économique. A Bruxelles, l’arrivée de Draghi à la tête de l’Italie ne peut que rassurer. L’Italie est un pays dont on craint les fragilités, qu’elles soient politiques ou économiques, car lorsqu’elle vacille, c’est l’Europe qui tremble. On dit le personnage sobre et peu disert, absent des réseaux sociaux, ce qui est désormais une vertu en soi. Mais devant le Sénat, il a tenu un discours de grandeur, convoquant Cavour, le père de l’unité italienne, l’Italie résiliente de l’après-guerre, et même Dieu que l’on avait un peu oublié dans cette Italie catholique. Comme dit Régis Debray : « Vous voulez unir un pays? Racontez-lui une belle histoire. Vous voulez rassembler ? Faites décoller, soulever, délirer ».

Comme dit Régis Debray : « Vous voulez unir un pays ? Racontez-lui une belle histoire. Vous voulez rassembler ? Faites décoller, soulever, délirer ».

Draghi le taiseux se révèle donc un conteur merveilleux. Mais les réformes qu’il veut mettre en œuvre ne devront rien à la magie, tout à la rigueur. Il veut ancrer l’Italie dans l’Europe et il décrète « l’irréversibilité de l’euro », contraignant Matteo Salvini de la Ligue et le Mouvement 5 étoiles à manger des couleuvres. Ce discours d’une Italie qui ne peut être grande, souveraine et prospère, qu’au sein de l’Union frappe les esprits alors que l’Union doit faire face à toutes sortes de critiques.

Des objectifs ambitieux

L’expérience, la renommée du nouveau président du Conseil vont lui servir dans sa tâche qui est immense. D’abord, relever l’Italie de la crise du Covid-19 dont elle a tant souffert, relancer l’économie, en sachant utiliser au mieux les milliards du plan de relance européen. Ces années passées, l’Italie s’est montrée incapable de gérer et donc de profiter pleinement des fonds alloués par Bruxelles. Mario Draghi veut réformer la fiscalité, l’administration et la justice. Et puis, travailler à combler autant faire que peut le fossé qui perdure entre le Nord et le Sud. Et encore, atteindre la neutralité carbone. Autant dire que Mario Draghi ne verra pas la fin des travaux comme président du Conseil mais il a l’ambition d’en donner l’impulsion décisive.

Le G7 du weekend dernier a aussi permis à Mario Draghi de faire son entrée sur la scène planétaire. Et de réaffirmer sa volonté de lutter contre le Covid-19 et le réchauffement climatique. « La santé est un bien public, a-t-il affirmé. Et l’accès aux vaccins doit être universel ». L’Italie pourra réaffirmer ses intentions lors du G20 qu’elle préside. Et aussi dans le prochain « Global Health Summit » qui doit se tenir à Rome en mai.

L’Italie n’est peut-être pas le laboratoire de l’Europe. Mais il y a désormais une leçon italienne : sortir de crise exige le consensus politique et la mobilisation de toutes les énergies.

En cette année commémorant le 700e anniversaire de la mort de Dante, l’Italie, après avoir traversé l’enfer et le purgatoire, peut légitimement aspirer à gagner le paradis. Avec Draghi en guide sage connaissant le chemin.

André Crettenand