Iran-Etats-Unis: la cuiller du diable — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Ce ballet diplomatique peut prêter à sourire, mais il est une première étape incontournable et plus importante que l’on pourrait croire. Le président iranien l’a qualifiée de « chapitre historique », donnant à l’événement le poids qui lui convient. Car il ne s’agit pas moins de sauver l’accord nucléaire de 2015. Accord historique qui scellait un compromis déjà historique à la stupéfaction du monde.

L’administration Trump en est sortie bruyamment et a multiplié les sanctions. L’Iran n’en a, du coup, plus respecté les règles, augmentant sa capacité à produire de l’uranium enrichi, et interdisant aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique d’accéder à ses usines.

De multiples inquiétudes

Le moment est favorable. L’Iran souffre des sanctions, son économie est exsangue. Les Etats-Unis aspirent à la stabilité dans la région. Il y a peu encore, on n’était pas loin de frappes guerrières. L’impossible d’hier devient le possible d’aujourd’hui. Premier effet de l’arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden, qui a foi dans le multilatéralisme et le dialogue. Et qui voit aussi l’intérêt géostratégique de mieux cerner un pays qui a tant d’influence sur son voisinage proche. L’Iran soutient les rebelles houthistes au Yémen, qui gagnent du terrain, approvisionne Bachar Al-Assad en Syrie, soutient le Hezbollah au Liban et en Irak. Et comme le signale, à propos, un expert dans l’émission « Tout un Monde » de la RTS, l’Iran et la Chine, dont les relations commerciales sont déjà soutenues, viennent de signer un accord de coopération stratégique fin mars.

La rencontre de Vienne suscite de multiples inquiétudes. Et on peut lire les derniers événements comme autant de signaux perturbateurs. Le site iranien de Natanz, qui a mis en route le weekend dernier de nouvelles centrifugeuses, a été victime d’une panne de courant étrange. Et le navire iranien Sawiz des Gardiens de la Révolution, qui stationne en Mer Rouge, au large du Yémen, a essuyé une bizarre explosion. Des analystes pointent Israël derrière ces incidents. Le premier ministre Netanyahou n’a laissé d’ailleurs aucune ambiguïté sur ce qui se passe à Vienne, se disant nullement lié à ce qui pourrait en résulter.

Un Iran faible et une Amérique à nouveau sûre d’elle

En réponse, l’Iran a annoncé le 13 avril qu’il passait à l’enrichissement de l’uranium à 60%, bien au-delà des limites fixées par l’accord. Une violation de plus, spectaculaire, car elle annonce la possibilité pour le pays de disposer à terme d’un uranium à usage militaire, voire de fabriquer la bombe. L’Iran a aussi attaqué un cargo israélien sans causer de dommages majeurs. Ces préliminaires martiaux ne devraient pas faire dérailler les discussions, les ralentir tout au plus.

Joe Biden veut absolument retrouver un leadership malencontreusement délaissé par son prédécesseur, et compter dans la géopolitique mondiale. Il y a quelque chose de fascinant de voir comment l’élection d’un homme, certes de la plus grande puissance du moment, bouscule les équilibres géostratégiques.

Un Iran faible et une Amérique à nouveau sûre d’elle. La diplomatie se nourrit souvent de ces paradoxes. Mais patience : l’accord nucléaire de 2015 a nécessité vingt mois de discussions. Et il y a des élections en Iran en juin.

Et l’enfer est pavé de bonnes intentions.

André Crettenand