„Il faut rendre à nouveau nos villes vivables” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Cet été, bien d’autres régions ont souffert de climats de plus en plus extrêmes. En Chine, la moitié du pays est confrontée à une vague de chaleur sans précédent qui assèche les rivières et menace les récoltes. A Chongking, la température a frôlé les 45 degrés, poussant certains habitants à se réfugier dans les stations de métro et les centres commerciaux climatisés.

La demande de climatiseurs devrait d’ailleurs exploser au cours des 30 prochaines années. L’Agence internationale de l’énergie estime que 10 appareils seront vendus chaque seconde dans le monde. Un cercle vicieux qui renforce toujours plus l’effet de serre et les îlots de chaleur en ville.

Un tournant ?

« C’est un moment de prise de conscience », commente la géographe et urbaniste Armelle Choplin, invitée dans Géopolitis. « En tout cas, ça va être la fin du modèle de la ville occidentale qu’on exporte depuis près de 70 ans. » Professeure associée à l’Université Genève, elle entrevoit une mutation progressive dans la manière de penser et de construire les villes de demain. « Des villes qui seront moins consommatrices de ressources (…), avec des systèmes et des réseaux plus performants. »

L’enjeu est considérable, puisque les villes concentrent déjà la majorité de la population mondiale (56% en 2021). La part de citadins devrait continuer à grimper et culminer à 68% en 2050, selon les projections des Nations unies. Les villes consomment les deux tiers de l’énergie mondiale et sont responsables de 70% des émissions de gaz à effet de serre.

Densification et végétalisation

« Ce qui est sûr, c’est que la ville de demain doit être moins étalée », poursuit Armelle Choplin. « On a vendu en Europe ce modèle de la ville qui s’étale, mais qui est très consommatrice d’énergie. Parce que plus on étale une ville, plus il faut amener les réseaux très loin, donc c’est coûteux à faire fonctionner. En Suisse, on est plutôt en train de faire l’inverse, c’est-à-dire essayer de densifier, et ça c’est très important », dit-elle.

Les tours du Bosco Verticale à Milan [MIGUEL MEDINA / AFP].

Pour limiter les îlots de chaleur, beaucoup d’agglomérations misent sur la végétalisation. Riyad a prévu d’investir 11 milliards de dollars pour planter plus de 7 millions d’arbres.

A Milan, le Bosco Verticale est devenu une attraction de la ville: sur deux tours d’habitations, l’équivalent de deux hectares de forêt a été planté. Résultat: il fait 6 degrés de moins que sur les balcons voisins.

Depuis plus de 20 ans à Bâle, tous les propriétaires de toits plats ont l’obligation de les végétaliser.

Armelle Choplin

Le roi béton

En ville, les températures peuvent être jusqu’à 10 degrés plus élevées qu’en campagne sur une même période. Notamment à cause du béton qui emprisonne la chaleur. Et même à l’intérieur des villes, les différences peuvent être énormes.

Cette photo de @Paris prise par l’@Space_Station le 18 juin et aimablement fournie par @ESA_fr met en évidence les zones les + chaudes de la capitale un jour de canicule. De quoi nous inciter à adapter la Ville à l’évolution climatique et à planter toujours + #Paris15 @NASA @CNES pic.twitter.com/k6MtZNlT2T

— Mairie du 15 (@mairie15) August 3, 2022

« Il va falloir rendre de nouveau ces villes vivables », résume Armelle Choplin. « En fait, c’est un peu paradoxal, on construit des logements en béton, on construit des villes de béton, des villes qui sont pensées pour nous protéger. Mais en construisant ces villes, c’est contre-productif, puisqu’on est en train de détruire la planète », déplore la chercheuse.

« On a construit un imaginaire urbain sur l’idée que la réussite et la modernité s’écrit avec du béton », analyse Armelle Choplin. Sur cette symbolique particulière du béton, elle se souvient d’un exemple édifiant lorsqu’elle était en poste dans une université africaine: « Pour le départ à la retraite du doyen, on lui a offert 2 tonnes de ciment ! Donc c’est vraiment le symbole de la réussite, du respect. »

Elle rappelle que le béton n’est pas seulement le matériau des riches. « C’est aussi le matériau des pauvres. On peut fabriquer du béton avec du ciment, de l’eau, du sable et du gravier, sans énergie, juste à la force des bras. (…) Il faut imaginer qu’aujourd’hui la plupart des bidonvilles en Afrique sont en béton. »

Exemples et contre-exemples

La chercheuse insiste sur la nécessité de former les ingénieurs et les architectes de demain à cette nouvelle donne du réchauffement, pour construire autrement. Par exemple, « changer l’orientation des immeubles, en mettre certains sur pilotis dans des villes qui sont menacées par des inondations, comme on le fait par exemple à Lagos. Et puis évidemment végétaliser les toits. » Armelle Choplin souligne également l’importance de faire circuler les idées entre le Sud et le Nord, de s’inspirer d’exemples en Afrique, là où le bâti est plus adapté aux chaleurs intenses.

Elle évoque aussi le modèle de « Smart City » qui, selon elle, est source d’inégalités croissantes. « C’est un modèle qui a été porté par des entreprises, donc c’est un modèle économique avant d’être un modèle agréable à vivre. (…) Ce modèle de ville connectée, de villes intelligentes, vertes, est en train de devenir surtout une ville des inégalités et d’injustice environnementale. »

Lente évolution

L’Union européenne s’est fixé l’objectif de rendre 100 villes climatiquement neutres d’ici 2030, comme Munich, Copenhague ou Paris.

Les Etats-Unis – plus gros pollueur derrière la Chine – viennent d’adopter un plan de 370 milliards de dollars pour lutter contre le réchauffement climatique. Une grande partie sera consacrée au développement de l’éolien et du solaire. Des énergies qui restent encore peu exploitées en zones urbaines.

A l’échelle mondiale, la dépendance aux énergies fossiles est toujours la norme. La part des énergies renouvelables dans la consommation mondiale représentait à peine 12,6% en 2020.

Mélanie Ohayon

Mouvement des « Villes en transition »

Créé en 2004, l’objectif du mouvement international des « Villes en transition » est d’encourager des villes à se passer entièrement des énergies fossiles grâce aux énergies renouvelables locales. Aujourd’hui, 1550 initiatives ont été lancées dans une cinquantaine de pays.

Le Britannique Rob Hopkins en est l’un des fondateurs. Interrogé dans Géopolitis, il insiste sur le manque de volonté politique: « Il faut être audacieux et courageux. Nous devons nous attaquer à ces problèmes de transport en ville, ré-imaginer l’économie des villes pour que les choses soient beaucoup plus locales. » Pour lui, il est nécessaire de « cultiver le désir de changement. »