Géopolitis: face au conservatisme, les droits des femmes régressent — Genève Vision, un nouveau point de vue

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L’Afghanistan est un symbole fort, mais ce n’est pas le seul pays où les droits des femmes reculent. Aux Etats-Unis, le droit à l’avortement se heurte cette année à une offensive conservatrice sans précédent. Dernier exemple en date, le Texas, qui vient de promulguer la loi la plus stricte du pays. Il interdit désormais les IVG dès que les battements de coeur du foetus sont perceptibles, soit autour de 6 semaines de grossesse, même en cas de viol ou d’inceste. Au niveau fédéral, la majorité de juges conservateurs à la Cour suprême pourrait d’ailleurs menacer le droit à l’avortement, obtenu aux États-Unis il y a près de 50 ans.

En Pologne ou en Chine, des restrictions drastiques au droit d’avorter sont aussi entrées en vigueur en 2021. Amérique, Asie ou Europe présentent des réalités très différentes, et pourtant il y a un terreau commun, explique Patricia Schulz, ancienne membre du Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination envers les femmes, invitée dans Géopolitis: « Ce terreau commun, c’est la remise en question, permanente ou non permanente, des droits des femmes. Par des acteurs qui peuvent être très différents selon les pays. » Comme le gouvernement, le Parlement, des groupes privés ou des églises, précise-t-elle.

Menace des régimes autoritaires

Cet été, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan s’est retirée de la Convention internationale d’Istanbul, traité majeur en matière de lutte contre la violence à l’égard des femmes. En 2017, la Russie de Vladimir Poutine décriminalisait les violences conjugales.

La remise en question des droits des femmes s’observe majoritairement au sein de régimes autoritaires, là où les attaques sont souvent dirigées contre les droits sexuels et reproductifs ou la contraception, souligne Patricia Schulz. Elle revient notamment sur l’exemple de la Chine: « Après avoir imposé des décennies de politique d’enfant unique, le Parti communiste veut maintenant réduire l’avortement pour des raisons non médicales, parce qu’ils ont des problèmes de démographie, il n’y a plus assez d’enfants. Donc les femmes, le corps des femmes est toujours l’enjeu d’une politique. »

Des alliances « contre-nature »

« Il faut gagner cette bataille idéologique contre les forces conservatrices qui se développent un peu partout dans le monde », avait plaidé avec insistance le secrétaire général des Nations unies António Guterres lors du « Forum Génération Egalité » à Paris le 30 juin dernier. Il observait avec inquiétude « une régression poussée par un certain nombre de dirigeants, de mouvements politiques, économiques et religieux dans le monde. »

« A l’ONU, on a pu observer des alliances parfois contre-nature », poursuit Patricia Schulz, qui cite « l’alliance entre le Vatican, la Russie et le Venezuela » sur la question des droits sexuels et reproductifs. Les Nations unies sont un haut-lieu de lobbying contre les droits des femmes, explique-t-elle: « Parmi ceux qui manipulent dans l’ombre, il y a l’Eglise orthodoxe russe, ou des groupes évangéliques américains extrêmement bien organisés et qui ont énormément d’argent. Ils font en sorte que la politique telle qu’elle se discute au niveau international soit conservatrice. »

Pandémie délétère

La crise sanitaire a bien sûr amplifié les inégalités, en creusant davantage les disparités entre hommes et femmes. Le dernier rapport du World Economic Forum est venu confirmer cette tendance. Pour atteindre la parité, il faudra désormais attendre plus de 135 ans, soit une génération supplémentaire que l’estimation précédente.

« Le Covid-19 a vraiment accru la pauvreté des femmes, leur vulnérabilité et l’exposition à la violence pendant le confinement », s’inquiète Patricia Schulz. « Les chiffres sont très impressionnants: 15 millions de cas de violences domestiques supplémentaires. Et on pense que beaucoup de filles ne retourneront plus jamais à l’école. Il faut savoir que 111 millions de filles qui ont été privées d’école vivent dans les pays les plus pauvres », souligne-t-elle.

A cela s’ajoute l’urgence climatique. Un défi supplémentaire, selon elle, pour les femmes qui seront « affectées différemment et probablement plus gravement que les hommes »: « Dans beaucoup de pays, ce sont elles qui assurent la nourriture pour la famille. (…) En cas de sécheresse par exemple, si l’eau n’est plus accessible, il faut marcher plus loin pour en trouver », illustre-t-elle.

Mélanie Ohayon

Les quotas, « un bel instrument pour atteindre l’égalité »

Le Rwanda a le Parlement le plus féminin du monde. Plus de 61% des parlementaires de la Chambre de députés sont des femmes, grâce notamment à une politique de quotas. Trente pour cent des sièges de cette assemblée sont en effet réservés à des femmes.

Les quotas, volontaires ou imposés, sont utilisés en politique mais aussi dans les entreprises. « C’est un des beaux instruments pour essayer d’atteindre l’égalité dans la réalité, dans le quotidien des hommes et des femmes », salue Patricia Schulz. En Norvège, en Islande ou encore en France, des quotas ont été instaurés dans les Conseils d’administration de grandes entreprises, faisant grimper la part des femmes à plus de 40%.

Mais au niveau mondial, les chiffres sont bien moins encourageants. Selon les données de l’Union interparlementaire qui recensent la présence des femmes dans les chambres basses ou les chambres uniques des parlements, seuls 25,6% des sièges parlementaires dans le monde leur reviennent.

Les proportions sont encore plus faibles pour les exécutifs, avec 5,9% de femmes parmi les chefs d’Etat élus, et 6,7% parmi les chefs de gouvernement.

Du côté de l’économie, seuls 23 des 500 plus grandes entreprises du monde sont dirigées par des femmes, selon le magazine Fortune. Comme Mary Barra, à la tête de General Motors, et Jane Fraser, qui dirige Citigroup.

Elsa Anghinolfi