Géopolitis: En Iran, „les jeunes ont une haine immense envers la République islamique” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Dans la rue, devant les universités ou à l’intérieur des écoles, la contestation contre le régime grandit dans des dizaines de villes iraniennes. Brûler son voile, se couper ou se raser les cheveux en signe de ralliement, ces images deviennent virales sur Instagram ou Twitter. Depuis maintenant six semaines, elles deviennent le symbole d’un mouvement inédit qui défie l’ultraconservatisme en Iran. « Femme, vie, liberté », le slogan de la révolte résonne même à Qom, la ville sainte du chiisme. Un peu partout, les manifestants appellent à la chute du régime et scandent « mort au dictateur », en référence à Ali Khamenei, le guide suprême iranien.

Ce mouvement se distingue par « son ampleur, sa pérennité et la solidarité immense que les hommes ont manifestée envers les femmes », relève la sociologue et politiste iranienne Mahnaz Shirali dans Géopolitis. « Mais la chose la plus étonnante, c’est sa dimension antireligieuse, estime-t-elle. Ces jeunes qui sont dans la rue sont contre le régime islamique évidemment, contre les lois islamiques, mais en même temps, ils se prononcent contre la religion elle-même. »

Après deux générations nées sous ce régime, « on arrive à cette haine immense que les jeunes d’aujourd’hui ont envers la République islamique », poursuit Mahnaz Shirali. Une jeunesse qui aspire à la démocratie : « Ils ne veulent plus d’un régime qui les méprise, qui les violente et qui réprime leur liberté. (…) Ils mettent leur vie en danger, mais la seule chose qu’ils veulent, c’est se libérer des contraintes qu’on leur a imposées au nom de l’islam, au nom de la religion. »

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La répression des manifestations a fait plus de 200 morts depuis le 16 septembre, selon l’ONG d’opposition Iran Human Rights. L’ayatollah Ali Khamenei, qui accuse les Etats-Unis et Israël d’être à l’origine des protestations, peut aussi compter sur de fervents partisans. A Téhéran, les autorités ont organisé plusieurs contre-manifestations en faveur du voile obligatoire. Elles ont rassemblé des milliers de soutiens au régime.

« Une colère profonde »

Ce mouvement de contestation est né d’abord sous l’impulsion des femmes, indignées par la mort de Mahsa Amini. Mi-septembre, cette jeune Kurde iranienne de 22 ans était tombée dans le coma juste après son arrestation par la police des mœurs à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés ». Son voile était mal ajusté.

« La mort de Mahsa était vraiment l’étincelle qui a fait exploser toute la société », commente Mahnaz Shirali. Selon elle, sa mort a réveillé une rage et une colère profonde déjà présentes depuis longtemps. « Cela fait très longtemps que les Iraniens ne comprennent pas la diplomatie belliqueuse des dirigeants de leur pays et cela fait très longtemps que les ayatollahs sont vraiment détestés des Iraniens », affirme la sociologue.

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Les réseaux sociaux comme arme

En Iran, les autorités imposent des restrictions d’accès à internet et bloquent certains réseaux sociaux, comme Facebook, Twitter et Youtube. Les jeunes Iraniens ont appris à les contourner, notamment via des VPN, pour diffuser leur combat et témoigner de la violence de la répression.

L’écho est mondial. A Paris, Rome, Istanbul, Tokyo ou Chypre, les manifestations de soutien se succèdent. Le Canada et les Etats-Unis sont les premiers pays à imposer de nouvelles sanctions. L’Union européenne vient également d’adopter une série de sanctions contre la police des moeurs et onze dirigeants iraniens.

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Un groupe soutenant la contestation a même piraté durant quelques secondes une chaîne de la télévision d’Etat en diffusant en plein journal une image du guide suprême entouré de flammes, avec ce message: « Le sang de nos jeunes dégouline de tes doigts. »

Le voile comme symbole

Ces Iraniennes défilant cheveux au vent, brûlant le voile islamique sur la place publique, s’attaquent à un symbole puissant en Iran. En 1979, dans le sillage de la révolution islamique, l’ayatollah Khomeini impose aux femmes le port du voile obligatoire et restreint peu à peu leurs droits. A cette époque, des dizaines de milliers d’Iraniennes étaient descendues dans la rue pour défendre leurs libertés. Quatre manifestantes avaient été poignardées en pleine rue par des fanatiques.

Imposer le voile, « c’était par cette manière que la domination de la République islamique a réussi à s’installer sur la société iranienne », explique Mahnaz Shirali. « Et les hommes à l’époque n’ont pas soutenu les femmes. Aujourd’hui, quelque chose a changé, dit-elle. On voit à quel point les hommes ont compris que la libération de leur pays de la main des religieux passe par la libération des femmes. »

Pour autant, le régime pourrait-il céder ou être renversé ? « Le régime est incapable d’être flexible, il est incapable de montrer la moindre ouverture », déplore la sociologue. Avant de conclure: « Il ne faut surtout pas sous-estimer la force d’un peuple qui veut prendre son destin en main. »

Mélanie Ohayon