Géopolitis: „Ça ne coûte rien de polluer” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« La COP26 ne va pas sauver le climat. Et je pense que ce n’est pas une révélation de le dire », précise d’emblée Julia Tasse, responsable du Programme Energie Climat à l’Institut de relations internationales et stratégiques de Paris (IRIS). Invitée dans Géopolitis, la chercheuse pointe néanmoins son rôle moteur dans l’engagement des Etats: « Elle va participer à tout un processus qui aide les acteurs publics et les acteurs privés à s’engager pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Et sans ça, il y aurait une inaction totale. »

Les accords de Paris à la loupe

La COP26 permettra notamment d’examiner les progrès qui ont été réalisés depuis l’adoption des accords de Paris il y a six ans. Julia Tasse voit dans ces accords « une avancée majeure » parce que « ce sont les pays qui établissent leurs propres objectifs. » Mais des objectifs sans réelles contraintes, puisque les Etats ne doivent répondre que moralement de leurs engagements. « Il n’y a pas d’amende effectivement et ça c’est un point clé », dit-elle.

Les progrès climatiques sont d’ores et déjà insuffisants, selon le dernier pointage du GIEC publié cet été. Le sixième rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat préconise en effet des mesures drastiques immédiates pour réduire les gaz à effet de serre, sans quoi la barre fatidique de 1,5 degré de réchauffement sera atteinte d’ici 2031. Soit dix ans plus tôt que leur précédente estimation en 2018.

« Il y a une bonne nouvelle dans le rapport du GIEC », souligne tout de même la chercheuse. « Les scientifiques ont établi que le changement climatique était directement lié aux émissions qui provenaient des activités humaines. (…) Donc si on coupe drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui, le système va se rééquilibrer dans les années à venir. Et d’ici 2100 on pourrait ne pas dépasser les 2 degrés. »

D’ici là, la planète va subir une augmentation « sans précédent » d’événements météorologiques extrêmes , comme les canicules ou les pluies diluviennes, avertissent les experts. Les conséquences sont déjà là. Selon l’Organisation météorologique mondiale, le nombre de catastrophes a été multiplié par 5 ces 50 dernières années. Ce rapport est une « alerte rouge pour l’humanité », a insisté le secrétaire général des Nations unies António Guterres.

Le principe du pollueur-payeur

Pour inciter les entreprises très polluantes à émettre de moins en moins de gaz à effet de serre, l’Union européenne mise depuis plusieurs années sur la logique du pollueur-payeur. En 2005, elle créait le premier grand marché mondial du carbone. Il fonctionne dans tous ses pays membres, et aussi en Islande, au Liechtenstein, en Norvège, et depuis 2020 en Suisse.

Ce marché oblige chaque année plus de 11’000 installations à ne pas dépasser un certain plafond d’émissions de CO2. En cas de dépassement, l’entreprise peut acheter des quotas supplémentaires, auprès d’entreprises qui ont émis moins de CO2. Le problème est que pendant longtemps le prix du carbone est resté à un niveau très bas.

« Aujourd’hui, ça ne coûte rien d’émettre ou de polluer », déplore Julia Tasse, « or c’est ça qui peut pousser les acteurs privés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. » L’un des enjeux de la COP26 est de mettre en place un marché du carbone mondial avec un coût du CO2 suffisamment dissuasif.

Des compensations Nord-Sud?

Pour aider les pays du Sud à faire face au dérèglement climatique, les pays riches se sont engagés en 2009 à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020. Or, l’objectif ne sera certainement pas atteint, selon l’OCDE. En 2019, la contribution s’élevait à presque 80 milliards.

« C’est un problème récurrent », souligne Julia Tasse. « Un autre sujet qui va être évoqué à la COP26, c’est celui des pertes et dommages: certains pays du Sud qui sont déjà touchés par les impacts du changement climatique demandent à avoir une compensation financière de la part des pays du Nord pour ces dommages. »

Dans le trio de tête des plus gros pollueurs, on retrouve la Chine, les Etats-Unis et l’Union européenne. Selon Amnesty International, les pays du G20 sont responsables à eux seul de 80% des émissions de gaz à effet de serre.

« Au-delà de ces grands émetteurs, il faut aussi aller voir les émissions qui sont importées », ajoute la chercheuse. Elle cite sur ce point la Chine, plus gros pollueur mondial: « Il y a beaucoup de produits qui sont fabriqués en Chine et qui sont ensuite revendus dans tout le reste du monde. Ces émissions-là ne sont pas comptabilisées pour les pays qui les consomment, elles sont comptabilisées pour les pays qui les produisent. Et c’est ça qu’il faut prendre aussi en compte, quand on parle de cette responsabilité au sein de la gouvernance climatique. »

En 10 ans, la dépendance envers les combustibles fossiles n’a pas diminué et couvrent toujours 80% des besoins énergétiques mondiaux, selon l’ONU.

Mélanie Ohayon