France: un duel inédit — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La France aussi n’est plus la même. Les crises qu’elle a subies l’ont malmenée plus fortement qu’aucun pays en Europe. L’élection de 2017 suscitait des espoirs et des envies. L’élection de 2022 se nourrit surtout de rejets. En 2017, la gauche sombrait déjà, mais la droite classique résistait encore. Aujourd’hui, les partis historiques de gouvernement ont été laminés. Le mouvement de balancier entre la gauche et la droite satisfaisait tout le monde et régulait les espérances. Ce n’est plus le cas.

Le désenchantement, la colère sont tels que les électeurs de Mélenchon envisagent de voter Le Pen. C’est la fin du front républicain, qui était si évident autrefois. Et qui dit beaucoup des affres d’un électorat dépité. Expression contemporaine du « Après moi, le déluge ! ».

On regarde volontiers le spectacle de loin, avec condescendance et amusement. À tort. Le choix s’avère crucial pour tous les Européens. Emmanuel Macron croit dans l’ancrage européen et des politiques coordonnées avec les membres de l’Union. Marine Le Pen juge que seule la préférence nationale est à même de préserver la nation.

La nouvelle configuration géostratégique née de l’invasion russe de l’Ukraine pourrait être chamboulée. Marine Le Pen plaide encore et toujours pour un rapprochement avec la Russie, avec ou sans Poutine. Elle dit vouloir quitter le commandement militaire intégré de l’OTAN, et à terme, l’organisation elle-même. Elle n’a jamais caché ses amitiés avec Orban, ou avec Poutine. Élue, elle reviendrait sur le périmètre d’engagement de la France en Ukraine. Elle expliquait dans une interview à la BBC en 2017 qu’il n’y avait pas eu d’invasion de l’Ukraine, mais de simples conflits territoriaux localisés. Inutile de s’en mêler.

L’Union européenne serait fracturée. Marine Le Pen veut une Alliance européenne des nations, contre-modèle absolu à l’Union européenne actuelle. Elle veut rétablir des contrôles douaniers des marchandises, remettre en question la libre-circulation des personnes. Est-ce possible, compatible avec les engagements internationaux de la France ? Qu’à cela ne tienne, dit-elle, elle changera la Constitution. Voilà qui évoque des expériences hasardeuses en Hongrie ou en Pologne.

La présidentielle française nous paraît toujours un exercice insolite, spectaculaire à souhait. Et diablement compliqué. Un homme, ou une femme, doit rassembler un pays divisé. Mais l’élection n’apaise pas, ne clôt jamais le débat, et ne garantit pas de consensus pérenne.

Le roi, ou la reine, sera contesté·e bien sûr comme il sied à la France révolutionnaire, par goût, plaisir d’exister, et par habitude.

André Crettenand

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