Née en 1971, juste après la guerre du Biafra au Nigeria, l’ONG Médecins Sans Frontières (MSF) a célébré mercredi son cinquantième anniversaire. Ses fondateurs voulaient rompre un peu avec les méthodes traditionnelles de l’humanitaire, mais surtout créer une organisation strictement médicale.
Il a été souvent dit que Médecins Sans Frontières, au moment de sa création, voulait se distancier clairement du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), dont il reprochait notamment le silence.
Forum / 18h. / 10 min. / 24.12.2021
Mais ça, « c’est l’histoire qu’on se raconte après et sans doute sincèrement », a relevé d’emblée Rony Brauman, ancien président de l’ONG (1982-1994), vendredi dans l’émission Forum de la RTS.
Rony Brauman, co-fondateur de Médecins sans frontières. [David Monniaux – CC-BY-SA]
« De fait nous avons rompu avec certaines méthodes du CICR, en particulier la discrétion, mais la mission de MSF ne recouvre pas celle du CICR et inversement », a-t-il souligné. « L’idée de rompre avec cette tradition de la Croix-Rouge n’est pas aussi claire parce que les fondateurs de MSF avaient une grande admiration pour le CICR ».
Du reste, a rappelé Rony Brauman, certains des pionniers de MSF envisageaient de créer le noyau qui aurait donné lieu à la création de la division médicale du CICR (qui a été construite plus tard de l’intérieur). Et donc, « l’idée de rejoindre le CICR ne faisait pas bon ménage avec une critique virulente de celui-ci »
« MSF a été créée avant tout pour constituer une organisation spécialisée dans la médecine dans un cadre humanitaire », a-t-il précisé. « Et c’est l’une des raisons du succès de MSF ».
L’ONG a vraiment pris son envol à partir des années 1980. Son opération lors du génocide au Rwanda en 1994 restera comme l’une des plus importantes de son histoire.
« Travailler dans une situation de massacre ciblé (…) ça crée une situation terrible », s’est remémoré Rony Brauman. « On se demande si on ne contribue pas soi-même, par sa présence, à légitimer en quelque sorte l’action de ces bourreaux ».
Aujourd’hui MSF compte 65’000 personnes déployées dans plus de 70 pays. Mais elle a su rester fidèle à ses idéaux, estime-t-il. « Du point de vue de la qualité de l’engagement, de la sincérité des gens qui y travaillent, je ne vois pas de différence ».
Rony Brauman a rejoint MSF au début 1978. « J’ai vu des générations de volontaires se succéder », a-t-il raconté. « Certaines avaient un discours un peu plus politique dans les années 70-80, ensuite c’est devenu peut-être un peu plus éthique, mais ce sont des détails. Dans le fond, l’engagement est le même ».
L’ancien président de l’ONG a esquissé tout de même un regard un peu plus critique. « Travailler sur le terrain avec MSF aujourd’hui, c’est travailler dans une organisation très structurée, parfois trop, très déployée, parfois trop », a-t-il constaté. « Dans le passé, c’était plutôt le contraire: on était lâchés sur le terrain et il fallait qu’on se débrouille ».
Et pour le médecin français, « MSF est sans doute un peu trop gros » aujourd’hui. « On la voit aussi pénétrée par un certain discours managérial qui va bien avec les grosses structures mais qui ne s’accorde pas très bien avec l’engagement. Donc il y a ce genre de tensions à MSF, mais je pense que nous sommes suffisamment costauds pour les surmonter ».
Propos recueillis par Renaud Malik/oang
Cinquante ans de MSF en texte et en images
Pour le cinquantième anniversaire de l’indispensable ONG, Rony Brauman et le célèbre photographe Raymond Depardon ont publié « Regards témoins », un livre qui raconte les cinq décennies de crises et d’actions humanitaires de MSF en textes et en images.