Federico Villegas : rendre visible la souffrance des victimes — Genève Vision, un nouveau point de vue

0

L’ambassadeur argentin rappelle qu’à l’époque « les droits de l’Homme étaient une variable des relations géopolitiques entre les blocs. Nous devons éviter que, quelles que soient les tensions dans les relations internationales, les droits de l’Homme deviennent une partie de cette variable géopolitique. Nous devons protéger le système que nous avons construit ensemble ».

La marge de manœuvre du nouveau Président du Conseil des droits de l’Homme est limitée. Au vu des violations graves qui ont lieu sous toutes les latitudes, quelle est aujourd’hui la raison d’être du Conseil des droits de l’Homme ? « Aux personnes qui se demandent si le Conseil et l’ONU ont encore une raison d’être, je leur demande d’avoir une perspective historique pour comprendre le chemin parcouru », répond Federico Villegas.

Jusqu’en 1948, souligne-t-il, ce qui se passait dans un pays ne regardait pas les autres États et peu leur importait de savoir ce que vivaient les peuples dans chaque État. « Cela a changé à partir de 1948, après la tragédie de l’Holocauste. La Déclaration universelle des droits de l’Homme a été adoptée en 1948 et aujourd’hui vous avez dix traités, 47 mécanismes et un organe principal qui font que les personnes ont un droit reconnu sur le plan international. La raison d’être du Conseil ce sont les progrès que nous voyons depuis 75 ans ».

Verre à moitié vide ou à moitié plein pour ce qui est des droits de l’Homme ? Federico Villegas est pragmatique : « Les défis mondiaux nous font voir le verre à moitié vide pour nous inciter à continuer de travailler afin d’éviter de répéter les tragédies du passé, d’aborder les problèmes actuels et de sauvegarder ce que nous construisons ».

Pour les victimes de sévices, emprisonnées ou torturées, le langage prudent de la diplomatie onusienne est difficilement compréhensible. « Les 193 États membres de l’ONU ont des défis liés aux droits de l’Homme. Avec le Conseil, nous avons fait un saut qualitatif.

Un diagnostic dans chaque pays

Auparavant, il n’y avait aucun mécanisme pour aborder la situation des droits de l’Homme dans chaque pays. 95% des membres de l’ONU ne mettaient pas leur situation des droits de l’Homme sur la table pour que d’autres pays donnent leur avis, émettent des recommandations et encore moins pour que les ONG établissent des rapports. Ou pour que les mécanismes de l’ONU puissent faire un diagnostic dans chaque pays.

Aujourd’hui, cela existe avec l’Examen périodique universel créé en 2006. Et nous allons faire en sorte que tous les membres de l’ONU mettent le thème de leur situation des droits de l’Homme sur la table », déclare l’Ambassadeur Villegas.

Le Président du Conseil des droits de l’Homme ne nomme pas de pays. « Tous ont des défis à relever sur ce plan. Les dirigeants doivent comprendre que l’agenda des droits de l’Homme n’est pas politique, géopolitique, idéologique ou le fait de l’Occident, ou d’une autre région. Les droits de l’Homme sont la clé pour le développement des peuples et un développement durable. Durant cette session du Conseil, nous allons désigner plus de 16 experts indépendants concernant différentes thématiques et pays ».

L’exemple de l’Argentine

Les experts indépendants, parfois menacés sur le terrain, sont-ils la bonne conscience du Conseil, de l’ONU et de la communauté internationale ? « Il est légitime de le voir ainsi. Je viens d’un pays, l’Argentine, pour lequel a été créé le premier mécanisme indépendant concernant les droits de l’Homme. À l’époque de la Commission, il n’en existait pas. Il y avait des disparitions systématiques en Argentine qui n’étaient pas mises en lumière par la communauté internationale. La géopolitique a fait que l’Argentine n’a pas été condamnée pour cela. Il n’y a eu aucune résolution sur la situation des droits de l’Homme en Argentine.

Pour que les victimes se fassent entendre, elles sont venues à Genève et ont parlé des disparitions. En 1980, le premier mécanisme indépendant a été créé : le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l’ONU. Il existe encore car, lamentablement, le phénomène n’a pas été éradiqué. La conscience collective se construit à partir de valeurs qui naissent lorsque l’on rend visible la souffrance des victimes », conclut le Président du Conseil des droits de l’Homme.

Luisa Ballin