Est-Ouest, le désamour en Europe — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les suggestions de la France et de l’Italie d’abandonner un bout d’Ukraine en échange de la paix, a accru le soupçon d’un lâchage possible. L’ouest serait « fatigué » de la guerre, et voudrait en finir, quel que soit le prix, a-t-on pensé à l’est de l’Europe. Mais la guerre se gagne sur le terrain, et ce sont les Ukrainiens qui y sont, s’y battent et paient le prix du sang. Ils décideront.

Les pays de l’Est comme on disait autrefois sont en première ligne. Souvent admis dans l’Union après avoir été contraints de patienter, accueillis avec suspicion, ils restent méconnus, ignorés, sous-estimés. Ils ont souvent été les mauvais élèves de l’Europe, les empêcheurs de tourner en rond, et ils en sont en partie responsables. Ils veulent désormais être compris, et entendus. Les pays baltes et la Pologne appellent depuis longtemps à se mobiliser contre leur puissant voisin.

Est et ouest s’opposent sur bien des points : la livraison des armes, la nature des sanctions, le retour de Poutine dans le cercle des vertueux. Les tensions ne sont pas nouvelles. Mais elles portaient sur d’autres points. La Pologne conteste les injonctions de Bruxelles en matière d’indépendance de la justice, par exemple. Mais elle vient de signer un compromis sur l’épineuse question en renonçant à créer une chambre disciplinaire pour juger les magistrats. La Hongrie use et abuse de son droit de veto, mais finit par signer.

L’invasion de l’Ukraine saisit davantage les voisins directs, ce qui se comprend. La lutte pour l’indépendance et la préservation des valeurs démocratiques y est ressentie autrement qu’à l’autre bout de l’Europe. Les citoyens lituaniens ont réuni cinq millions d’euros en deux jours pour acheter un drone turc. La Première ministre estonienne Kaja Kallas dit qu’il faut arrêter de téléphoner à Poutine. « Mais qu’est-ce que cela nous apporte, demande-t-elle. Je ne vois aucun résultat, parce qu’après tous ces pourparlers, Boutcha est arrivé, Irpin est arrivé. Nous ne voyons aucun signe de désescalade. La paix ne peut pas être l’objectif ultime des futures négociations de paix après la fin de la guerre ».

Un point de vue que l’on entend moins à l’heure où les appels à concessions se multiplient. Il faut l’écouter : « Nous avons fait cette erreur trois fois auparavant, dit la Première ministre Kallas, dans les cas de la Géorgie, du Donbass et de la Crimée, en pensant que puisque nous avions un traité de paix, et que tout le monde restait là où il était, nous pouvions retourner aux affaires courantes ».

Il est indéniable que l’Europe avance. Elle se réarme. Elle met en place une politique d’indépendance énergétique qui portera ses fruits dans quelques années. Cela dit, les désaccords de l’instant sur les questions de diplomatie et de défense sont peut-être les symptômes d’un mouvement plus profond, qui pousse plus à l’est le point d’équilibre de l’Union.

De quoi inquiéter les puissants piliers historiques, de plus en plus irrités de devoir composer avec la récalcitrante vieille Europe. Cela explique aussi leur empressement à créer une Communauté politique européenne, destinée surtout à faire poireauter l’Ukraine dans l’antichambre de l’Union. Rien d’enthousiasmant pour tout candidat. Et une raison de plus de se tourner d’abord vers l’OTAN. « La faiblesse de l’Europe, c’est la force de Poutine », avertit Enrico Letta, président de l’Institut Jacques Delors.

André Crettenand