En Ukraine, de plus en plus de soldats congèlent leur sperme avant de partir au front. Toujours plus de femmes dont les compagnons meurent à la guerre décident même de faire un enfant avec ce sperme. Cela a un nom: la procréation post mortem.
Irina et Oles, deux jeunes Ukrainiens tout juste mariés, ont opté pour ce type de procréation particulière, alors qu’Oles a été appelé au front et combat depuis janvier dans le Donbass. Il est difficile de dire combien de temps il restera mobilisé, voire s’il reviendra du front.
Une clinique pratiquant la procréation assistée à Kiev.
Ainsi, comme le jeune couple rêve d’enfants, il a pris une décision importante avant le départ d’Oles: « Mon médecin m’a dit que je ne pouvais pas attendre plus longtemps. On a décidé de congeler son sperme pour que je puisse l’utiliser », explique la jeune femme. Mais Irina a poussé plus loin la réflexion, témoigne-t-elle dans la Matinale de la RTS.
En plus de l’éloignement, il y a le risque de blessures. Les premières études sur le terrain indiquent que 5% des blessures de guerre concernent les organes sexuels. Bien des hommes ne pourront plus devenir père après la guerre.
Mais il y a aussi le risque, évidemment, de mourir au front. Des dizaines de milliers de soldats ukrainiens ont été tués. Conséquence: quantité de jeunes femmes se retrouvent veuves à 20, 30 ou 40 ans. Parmi celles qui ont fait congeler le sperme de leur compagnon, certaines décident de l’utiliser pour faire un enfant.
Que ferait Irina si Oles meurt à la guerre? Utilisera-t-elle le sperme d’Oles? Comme tant de couples, Irina et Oles n’ont pas eu le courage d’aborder plus sérieusement cette question ensemble, mais Irina y pense évidemment.
« Je dirais oui… définitivement. Je tenterais de faire cet enfant. Peut-être que des gens penseront que c’est stupide ou égoïste. Mais si tu perds la personne que tu aimes, l’enfant que tu auras, ce sera la prolongation de ton mari. C’est ce qui peut peut-être te donner une raison de continuer à vivre. Parce que quand tu perds quelqu’un d’aussi important dans ta vie, tu peux vouloir te tuer. Mais l’enfant est peut-être celui qui te poussera à continuer à vivre, celui qui te permettra de dépasser ta peine. »
Cependant, la « procréation post mortem » n’est pas encadrée par la loi ukrainienne. Le Parlement s’est penché sur la question mais il a été rattrapé par les autres urgences liées à la guerre.
En clair, actuellement, une fois décédé, l’autorisation du soldat d’utiliser son sperme ne vaut plus.
Galina Strenko, cheffe de clinique et gynécologue ukrainienne à Kiev, explique que dans sa clinique, qui – comme bien d’autres – propose aux soldats de congeler gratuitement leur sperme avant de partir à la guerre, lorsqu’une femme vient pour une insémination, il est impossible de savoir si elle procède à une intervention légale ou non.
« Je ne peux pas appeler avant la procédure pour lui dire: ‘bonjour monsieur, vous êtes vivant ou mort (…) vous êtes d’accord ou pas d’accord' », explique-t-elle.
A cause de la guerre, cette question se posera bientôt sans doute pour des centaines de femmes, peut-être des milliers, comme Irina, qui a tenu à passer encore ce message: « Beaucoup de gens doivent penser que nous sommes en quelque sorte fous. Mais nous n’avons qu’une vie. Et on ne peut pas changer la situation. On n’a pas choisi cette guerre. Mais on est bien obligé de faire avec. On ne sait pas combien de temps elle va durer. Et nos plus belles années se dérobent entre nos doigts. Pour nous, c’est essayer de tenter d’avoir une vie ‘normale’, comme avant, essayer d’avoir une vie normale dans ces conditions évidemment totalement différentes… au moins essayer. »
Pour Irina, résister à l’invasion russe, c’est aussi ne pas renoncer à avoir un bébé. Les combats risquent avec le printemps de gagner en intensité. Elle se prépare à ne pas revoir son mari durant des mois. Son souhait: que le Parlement vote rapidement une loi lui permettant, quoi qu’il arrive, de porter légalement un jour leur enfant.
Sujet radio: Maurine Mercier
Adaptation web: Julien Furrer