„En Iran, la question du port obligatoire du voile touche les jeunes comme les seniors” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Les mouvements de protestation ont commencé après la mort d’une jeune femme de 22 ans, Masha Amini, en détention suite à son arrestation par la police des mœurs. En cause: un voile, dont le port est obligatoire en Iran, et qu’elle portait d’une façon jugée inappropriée.

Clément Therme, chercheur à l’Institut international d’études iraniennes Rasanah, explique jeudi dans Forum que « c’est une révolte qui traverse toutes les générations. La question du port obligatoire du voile touche les jeunes comme les seniors ».

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The scenes in Iran are astonishing. How far will these protests go?
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— Frida Ghitis (@FridaGhitis) September 20, 2022

Un récit trompeur

Avant la révolution islamique en Iran en 1979, le voile n’était pas obligatoire. Le chercheur raconte que les femmes se promenaient à Téhéran sans le voile. Elles pouvaient se baigner en maillot de bain dans la Mer Caspienne ou dans le golfe Persique.

« En Occident, on n’a pas vu la régression du droit des femmes par la République Islamique, ainsi que l’instauration d’une théocratie islamiste. Et la violence avec laquelle ce projet a été imposé par le haut. »

Selon Clément Therme, la situation est révélatrice du manque de compréhension, en Europe, de l’histoire iranienne. « Le récit du régime iranien, produit en et pour l’Occident, nous a fait croire que les relations homme-femme en Iran étaient différentes en raison des spécificités culturelles. Je pense que la perception occidentale a sombré dans un paradigme culturaliste. » Cela aurait fait « le jeu du régime iranien », décrypte-t-il.

Néanmoins, il ajoute que les manifestations actuelles démontrent ‘l’échec de la propagande du régime’: « La nouveauté, c’est que le changement devient visible politiquement et que le régime n’arrive plus à manipuler les médias et le récit produit en Occident. »

Clément Therme, chercheur à l’Institut international d’études iraniennes Rasanah

Droit de disposer librement de son corps

Si les discours et les actions s’attaquent d’un côté au port du voile, et d’un autre au régime, le chercheur explique qu’on ne peut pas dissocier les deux. « Le principe de liberté est opposé à l’idéologie du régime portée par l’ayatollah Ali Khamenei. À savoir, la négation de l’individualité et du droit des personnes. »

Des Iraniens protestent aussi dans d’autres pays, comme en Grèce. [Georges Vitsaras – Keystone].

Les manifestants demandent la liberté de pouvoir porter n’importe quel vêtement, mais Clément Therme estime que ce n’est pas envisageable dans le cadre du régime actuel, car le port obligatoire du voile fait partie de son identité politique.

« Le régime islamique n’entamera un changement que s’il est acculé, mais sans l’assumer publiquement. S’il arrive à atténuer la révolte populaire, peut-être garantira-t-il plus de liberté, mais dans l’objectif d’assurer sa survie politique », fait-il comme hypothèse.

Des répressions qui rappellent celles de 2019

En 2019, la République islamique d’Iran connaissait une vague de soulèvements populaires contre l’augmentation du prix du carburant. La réponse des autorités politiques avait été particulièrement violente, laissant derrière elle environ 1500 morts, selon Reuters.

« Il y a déjà plusieurs chiffres qui circulent sur le nombre de personnes mortes, et ils s’élèvent à plusieurs dizaines. » Clément Therme estime que ces chiffres sont sous-évalués, notamment depuis que le régime a bloqué l’accès aux réseaux sociaux. « C’est sans compter la volonté du régime de contrôler le récit des événements », ajoute-t-il.

Selon lui, seulement deux trajectoires sont possibles: « Soit on va entrer dans un état de répression permanente, avec des phases plus intenses et d’autres sous-jacentes. Soit on se dirige vers l’incapacité du régime à perpétuer son autorité. »

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Statu quo impensable

« La spécificité de ces contestations, c’est que toutes les générations sont concernées. Ces dernières n’acceptent plus les humiliations, c’est-à-dire les arrestations quotidiennes qui se produisent depuis plus de 40 ans. »

[Craig Ruttle – Keystone].

Pour le chercheur, les contestataires ne souhaitent pas le statu quo. « Il serait intenable, car le régime n’est pas en capacité d’empêcher de futures protestations. » Pourtant, le régime n’a pas changé jusqu’à présent, et les autorités politiques ne semblent pas se manifester en faveur des demandes populaires.

« C’est très difficile pour les manifestants de provoquer un changement de régime pour le moment. Notamment parce qu’ils n’ont pas accès aux armes et qu’ils ne forment pas une organisation politique », conclut le chercheur.

Propos recueillis par Thibaut Schaller
Adaptation web: Raphaël Dubois