En France, le bonheur est dans la rue — Genève Vision, un nouveau point de vue

0

Les élections régionales n’ont pas déplacé les foules. La campagne elle-même a porté sur des enjeux nationaux. On s’est disputé sur les questions de sécurité, qui ne sont pas dans la compétence des régions. Des candidats ont annoncé que le scrutin était un test personnel qui leur ouvrirait la voie vers une candidature à la présidentielle. D’autres encore ont voulu qu’il soit l’expression d’un désaveu du gouvernement. Et c’est entre les deux tours que l’Elysée laisse fuiter l’annonce des dates de la présidentielle, la vraie, la seule.

Un exemple chiffré de la désaffection de l’électorat : Xavier Bertrand, candidat dans les Hauts-de-France, et en tête, a recueilli 41% des suffrages. Mais cela représente à peine 13% des inscrits. Un paradoxe puisque les Français ne cessent de réclamer plus de participation, plus de droits d’initiative et de référendum. C’était d’ailleurs une revendication des gilets jaunes.

Le paradoxe s’explique. Le pouvoir est concentré au sommet de l’Etat. La Constitution du général De Gaulle apporte au président beaucoup de prérogatives et d’influence. Dans tous les domaines. Des plus importants quand il commande aux armées, aux plus anodins quand il règle le quotidien. Juste pour l’anecdote : lorsque, à Roland-Garros, en plein duel Djokovic – Nadal, on s’apprête à évacuer le stade parce que le couvre-feu approche, c’est l’Elysée qui accorde soudain la permission de minuit.

L’exercice électoral est moins apprécié que les révolutions et les jaqueries qui ont jalonné l’histoire de France. Comme si seul l’homme ou la femme providentielle pouvait gérer et sauver le pays. Quitte à leur couper la tête ensuite s’ils déçoivent, et même s’ils ne déçoivent pas. Et cette espérance n’est pas prête à s’éteindre. En ces temps troublés, les appels à sauveur, se multiplient. Ce peuple a coupé la tête du roi et en a couronné plein d’autres. Fascination pour le pouvoir et désir de rejet tout à la fois. Freud aurait de quoi analyser.

La révolution est un exercice périlleux, mais plus enthousiasmant que de cocher des bulletins. Le défilé protestataire dans la rue vaut toutes les votations. C’est un choix, culturel, sociétal, assumé. Il faut le respecter. Défiler plutôt que voter. Quand on défile, on est heureux. Quand on vote, on risque d’être déçu.

La ruralité heureuse

Il est donc hasardeux de tirer des enseignements définitifs de ces élections sur l’état de la France. Déconfinés, les Français retrouvent la joie de vivre et la politique les a convoqués brusquement et elle les a sommés de se positionner. C’en était trop. Les régionales tombaient au mauvais moment.

Pas étonnant que le président pérégrin veuille fuir à la campagne, à la découverte de la « ruralité heureuse ». Une autre France, loin de Paris, qui aurait gardé la tête froide. Un pays sage, éternel, serein, qui dessinerait en contrepoint une ville folle et changeante qui aurait perdu la raison.

André Crettenand