On connaît la Chine comme puissance géopolitique et économique, elle est également un haut lieu de l’art contemporain. Depuis une quinzaine d’années, avec ses méga-expositions, ses biennales, ses galeries, une ville comme Shangaï s’est imposée comme une des grandes capitales de l’art globalisé. Un phénomène décrypté par l’émission Tout un monde.
Caroline Boudehen, journaliste et entrepreneure dans l’art contemporain, a vécu plusieurs années à Shangaï. Observatrice attentive de cette éclosion très rapide et sans précédent, elle explique dans son livre « Le boom de l’art contemporain en Chine », qui vient d’être publié aux éditions de l’Aube, qu’au début du siècle l’art contemporain était quasiment inexistant en Chine.
Tout un Monde / 8h15 / 7 min. / 11.10.2022
« J’ai été témoin de cette explosion de l’art. Je parle de boom, donc d’explosion, parce qu’il s’est infiltré partout. Dans la vie quotidienne, dans les villes, il a vraiment transformé les paysages urbains. Je pense que l’on peut parler maintenant d’art de vivre », explique-t-elle dans l’émission Tout un monde de la RTS mardi.
« La première chose qui m’avait frappée était la définition du musée pour les Chinois. En Occident, le musée a une caractérisation précise, dont la conservation d’oeuvres. En Chine, on n’a pas du tout les mêmes enjeux: tout lieu qui expose de l’art contemporain peut prendre le nom de musée. »
La journaliste évoque son étonnement au moment de découvrir les lieux d’exposition en Chine. « Ce qui est très frappant quand on arrive en Chine, c’est que l’art contemporain est autant dans les boutiques, que dans les restaurants, dans l’espace public. Et surtout, il est présent dans les centres commerciaux, ce qui lui donne un accès incroyable, ce qui le rend accessible à toutes sortes de publics. C’est d’ailleurs quelque chose qui est très ancré en Chine. Dès le départ, on n’a pas commencé par exposer de manière élitiste dans des lieux bien fermés pour ensuite descendre l’art dans la rue. »
Ces expositions ont aussi pour vocation de stimuler la consommation. Dans cette société ultra-connectée, ce serait même l’un des enjeux majeurs de cette frontière floue entre art et shopping, constate Caroline Boudehen. « C’est un gros enjeu: comment faire venir les gens dans les magasins et même dans les musées? La frontière entre oeuvres et produits est très floue. Les boutiques sont souvent mises en scène de façon assez spectaculaire. Elles utilisent du digital, il y a toujours des surprises, ce qui correspond très bien à l’ADN de la Chine, qui est de découvrir, d’être dans la curiosité, de prendre du plaisir soit pour faire les boutiques, soit pour visiter les musées. Les deux en un, cela fonctionne très bien. »
En Chine, plus de la moitié des acheteurs dans le secteur de l’art contemporain ont moins de la vingtaine. Les artistes et les collectionneurs ont le même âge, ils font partie de la même génération, ils ont une même vision du monde, « ce sont des tribus, ça fonctionne donc à l’horizontal, ce qui gomme les schémas traditionnels de passer soit par un galeriste, soit par un marchand d’art ». Les ventes se font en fonction de coups de coeur.
Caroline Boudehen estime que cette forme d’hybridation entre les différents univers – artistiques et commerciaux, espace clos et espace public – est intéressante. « Pour moi, l’art public est un grand enjeu. Quand je vois la facilité avec laquelle il est amené en Chine, justement dans les centres commerciaux, en aucun cas cela ne dévalorise le professionnel qui l’a placé ici », fait valoir l’entrepreneuse, qui appelle à une démocratisation de l’art également en France et en Europe. « Amener l’exclusivité d’une relation que l’on peut avoir avec une oeuvre d’art dans la rue, ça serait fantastique. »
Sujet radio: Patrick Chabourdez
Adaptation web: Miroslav Mares
La censure, une réalité incontournable
L’artiste chinois le plus connu, Ai Weiwei, dont les oeuvres portent un regard critique sur la société et la politique, vit désormais en exil, après avoir quitté la Chine en 2015.
Selon Caroline Boudehen, les artistes chinois savent sur quel terrain ils peuvent s’aventurer. « La censure a toujours été présente dans le pays, de manière plus ou moins puissante, elle est omniprésente. Quand on fait de l’art en Chine, on joue le jeu, on sait ce qui va être autorisé ou pas. Le sujet politique reste toujours un terrain sur lequel on ne va pas, sinon on est certain d’être censuré. C’est aussi une forme de liberté dans la contrainte, c’est-à-dire qu’on repousse les limites et on s’interroge: comment faire pour livrer un message qui peut être subversif en passant au travers des mailles du filet? »
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