Emmanuel Macron a mangé avec le prince héritier saoudien, dont la venue en France est dénoncée — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Cette rencontre signe un peu plus la « réhabilitation » du dirigeant de facto de la pétromonarchie, moins de deux semaines après la visite du président américain Joe Biden en Arabie saoudite, qui a définitivement consacré le retour de « MBS » sur la scène internationale dans un contexte de guerre en Ukraine et de flambée des prix de l’énergie.

Mohammed ben Salmane, qui avait débuté sa mini-tournée européenne en Grèce, est arrivé mercredi soir à l’aéroport parisien d’Orly, où il a été accueilli par le ministre français de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire.

Au retour d’un déplacement en Afrique jeudi après-midi, le président Emmanuel Macron l’a ensuite reçu à 20h30 à l’Elysée pour un « dîner de travail », a indiqué la présidence française dans un communiqué.

Emmanuel Macron a accueilli jeudi soir d’une longue poignée de main le prince saoudien ben Salmane..

Le pétrole en justification

Cette visite à l’Elysée « ne revient pas à remettre en cause notre engagement en faveur des droits de l’homme », a estimé la Première ministre Elisabeth Borne. « Il ne s’agit évidemment pas de mettre de côté nos principes (…) Le président de la République aura certainement l’occasion d’en parler » avec MBS, a-t-elle déclaré.

La présidence française a ensuite confirmé que le président français aborderait « la question des droits de l’Homme ».

Toutefois, « je pense que les Français ne comprendraient pas, dans un contexte où l’on sait que la Russie menace de couper l’approvisionnement en gaz (…), qu’on ne discute pas avec les pays qui sont précisément producteurs d’énergie », a encore justifié Elisabeth Borne lors d’un point presse.

De son côté, l’Elysée a également martelé que ce dîner était « nécessaire » au regard de l’envolement des prix de l’énergie, de la crise alimentaire au Moyen-Orient et des inquiétudes liées au programme nucléaire iranien.

Ecouter l’interview dans La Matinale d’Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International:

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Assassinat de Jamal Khashoggi

Le dirigeant saoudien avait été ostracisé par les pays occidentaux après le meurtre en 2018 du journaliste saoudien critique Jamal Khashoggi au consulat de son pays à Istanbul.

Relire: Le procureur turc veut « clore le dossier » Khashoggi et le transmettre à Riyad

Les services de renseignement américains avaient pointé la responsabilité de Mohammed ben Salmane dans l’assassinat, envenimant les relations entre Ryad et Washington.

Si le « fist bump », salut poing contre poing, échangé entre les deux hommes à Jeddah lors de la visite de Joe Biden a scellé le retour du président américain sur sa promesse de campagne de traiter le royaume en « paria », le premier déplacement de MBS au sein de l’Union européenne passe mal chez les défenseurs des droits de l’Homme.

Relire aussi: Joe Biden promet que les Etats-Unis ne se détourneront pas du Moyen-Orient

« Répression impitoyable »

La directrice pour la France de Human Rights Watch Bénédicte Jeannerod a taclé sur Twitter: « MBS peut apparemment compter sur Emmanuel Macron pour le réhabiliter sur la scène internationale, malgré le meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, la répression impitoyable des autorités saoudiennes contre toute critique, crimes de guerre au Yémen ».

MBS peut apparemment compter sur Emmanuel Macron pour le réhabiliter sur la scène internationale malgré le meurtre atroce du journaliste Jamal Khashoggi, la répression impitoyable des autorités saoudiennes contre toute critique, crimes de guerre au Yémen https://t.co/tQMxaei9nt

— Bénédicte Jeannerod (@BenJeannerod) July 27, 2022

Son retour en grâce auprès de chefs d’Etat occidentaux est « d’autant plus choquant que nombre d’entre eux ont exprimé à l’époque leur dégoût (pour le meurtre) et leur engagement à ne pas ramener MBS dans la communauté internationale », a-t-elle ajouté, dénonçant « deux poids, deux mesures ».

L’ancien candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot a aussi critiqué la visite à l’Elysée du prince héritier saoudien. « Au menu du dîner entre Emmanuel Macron et MBS le corps démembré du journaliste Khashoggi? Le chaos climatique? La paix et les droits humains? Le jour du dépassement? Non! Du pétrole et des armes! L’exact opposé de ce qu’il faut faire! », a dénoncé sur Twitter l’eurodéputé EELV.

Au menu du dîner entre @EmmanuelMacron et #MBS le corps démembré du journaliste #Khashoggi ? Le chaos climatique ? La paix et les droits humains ? Le jour du dépassement ? Non ! Du pétrole et des armes ! L’exact opposé de ce qu’il faut faire ! https://t.co/1PAkOKe7I8

— Yannick Jadot (@yjadot) July 28, 2022

Plainte déposée par une ONG Suisse

Enfin, l’ancienne fiancée de Jamal Khashoggi s’est dite « scandalisée » de cette réception. « Je suis scandalisée et outrée qu’Emmanuel Macron reçoive avec tous les honneurs le bourreau de mon fiancé. L’envolée des prix de l’énergie à cause la guerre en Ukraine ne peut justifier qu’au nom d’une prétendue realpolitik on absolve le responsable de la politique saoudienne envers les opposants politiques », a écrit Hatice Cengiz dans un communiqué de presse rédigé en français.

Enfin, une plainte pour complicité de torture et de disparition forcée en lien avec l’assassinat de Jamal Khashoggi a été déposée jeudi à Paris contre le prince héritier, ont annoncé les ONG Democracy for the Arab World Now (DAWN), fondée par le journaliste saoudien, et l’ONG suisse Trial International.

Intérêts pétroliers

Moins de quatre ans après l’affaire Khashoggi, l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a provoqué un affolement des prix de l’énergie. Les pays occidentaux cherchent depuis lors à convaincre l’Arabie saoudite, le premier exportateur de brut, d’ouvrir les vannes afin de soulager les marchés et limiter l’inflation.

Mais Ryad résiste aux pressions de ses alliés, invoquant ses engagements vis-à-vis de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP+), l’alliance pétrolière qu’il codirige avec Moscou. En mai, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal ben Farhan al-Saoud, avait déclaré que le royaume avait fait ce qu’il pouvait pour le marché pétrolier.

L’interview intégrale de Hasni Abidi, directeur du Centre d’étude et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, dans Forum

afp/vajo

La somptueuse propriété française de MBS, conçue par un cousin de Khashoggi

Mohammed ben Salmane, dit MBS, est arrivé mercredi soir dans sa somptueuse résidence de Louveciennes (Yvelines), le château Louis XIV, qui a été conçue par un cousin du journaliste saoudien Jamal Khashoggi assassiné en 2018.

En construisant le Château Louis XIV à Louveciennes, Emad Khashoggi a voulu rendre « hommage à l’architecture du XVIIe siècle », en faisant de son oeuvre la « vitrine internationale de la splendeur du savoir-faire français », selon le site de Cogemad.

Autour de ce luxueux palais de 7000 mètres carrés, sorte de « petit » Château de Versailles, s’étendent 23 hectares de jardins à la française, conçus « en accord avec les théories d’André Le Nôtre concernant le Château de Versailles ».

Le Château Louis XIV à Louveciennes. [STEPHANE DE SAKUTIN – AFP].

Une centaine d’ouvriers ont travaillé sur cette demeure, construite entre 2008 et 2011. En 2015, le flamboyant édifice a été cédé à MBS pour 275 millions d’euros (268 millions de francs), devenant la propriété la plus chère du monde. Le château comporte également plusieurs piscines et une cave à vin.