Du lourd à l'Est — Genève Vision, un nouveau point de vue

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L’Allemagne aura hésité longtemps. Mais elle a accompli une révolution copernicienne en quelques semaines. Fondamentalement pacifiste, et peu désireuse, depuis 1945, de s’armer outre mesure, elle a décidé au lendemain du 24 février d’investir 100 milliards d’euros dans la défense. Aujourd’hui, elle s’effraie encore de son audace. Elle ne voulait pas être désignée par Moscou comme une belligérante à part entière, et être entraînée en première ligne dans le conflit. Ce ne sera pas le cas : la Pologne, la Finlande, la Norvège, l’Espagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, d’autres encore, livreront des chars. Mais pas la France.

Les Américains, eux aussi, ont hésité, inquiets qu’ils sont de l’usage dont les Ukrainiens pourraient faire de ces engins au-delà de leur frontière, sur le territoire russe. Les Ukrainiens ont déjà surpris par leurs initiatives. Les États-Unis, eux, veulent rester maîtres du jeu. Ils entendent réguler l’intensité de la guerre.

Depuis que le peuple ukrainien a montré son incroyable courage, et sa résistance à toute épreuve, les Occidentaux se sont résolus à offrir leur soutien, à partager leurs informations, à livrer d’abord quelques casques et des munitions, puis des missiles, puis des chars légers, enfin des canons sophistiqués. Personne n’aurait pu imaginer une telle gradation fin février. Et l’on découvre que la puissance de feu peut encore être augmentée. Les Léopard, les Leclerc et autres Abrams déboulent dans notre vocabulaire. On en apprend tous les jours sur l’art de la guerre.

Les hésitations européennes ont peiné. Mais ce temps suspendu a permis de mesurer l’exacte colère poutinienne, d’anticiper ses effets, et de montrer que les Occidentaux sont gens raisonnables. Poutine ne l’étant pas, il est sûr désormais que nous aurons bientôt du lourd à l’Est.

Beaucoup ont vu dans la conférence de Ramstein la nouvelle manifestation d’une Europe divisée. Ne faut-il pas voir plutôt dans les atermoiements de certains la peur d’une victoire complète de l’Ukraine, ou d’une défaite absolue de Poutine, qui déboucherait sur une Russie inconnue ? Et de se retrouver avec un empire, dont on ne sait que faire, ni comment l’aborder ?

L’épisode, en revanche, a montré le nouveau poids de l’Europe de l’Est, et acté le glissement de son point d’équilibre. La France et l’Allemagne voient avec angoisse leur pouvoir d’influence s’éroder. Le centre n’est plus au centre. Ils le découvrent surpris. Ils n’ont rien lu depuis « Ubu Roi » et le triste : « La Pologne, c’est-à-dire nulle part ».

André Crettenand