Drame dans la Manche: la missive anglaise — Genève Vision, un nouveau point de vue

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La réponse, tout aussi publique, n’est pas moins intéressante. Emmanuel Macron a jugé le procédé de « pas sérieux ». Il aurait pu user de mots moins pieux, et sans doute l’a-t-il fait en privé, mais ce « pas sérieux »-là dit tellement de ce moment fou où les choses les plus évidentes semblent échapper au bon sens. Les flux migratoires qui s’intensifient ne sont pas le fait d’un président français ni d’un premier ministre anglais, mais ces deux-là sont en train de s’écharper comme il y a quelques jours Polonais et Biélorusses se rejetaient la faute, à la frontière de l’Union européenne.

Les migrants, eux, sont pris dans la nasse. Ils veulent aller en Angleterre, à tout prix. Ils ont parcouru des milliers de kilomètres, laissé toute leur fortune à des passeurs peu scrupuleux, abandonné leurs villages, leurs familles, ces derniers mille marins ne les décourageront jamais. Les « small boats » sont leur dernier recours. Comment imaginer qu’ils puissent renoncer à l’ultime prise de risque ?

Les Britanniques souhaitent que la France contrôle mieux ses rives et garde les migrants chez elle, car ils y sont en sécurité, plaident-ils. Les Français considèrent que c’est la politique britannique qui est en cause, car le Royaume-Uni n’entre en matière sur l’asile que lorsque les migrants sont sur l’île.

Un pesant Brexit

Pourquoi ce regain de nervosité ?

Au Royaume-Uni, Boris Johnson est au plus bas dans les sondages. Le Brexit complique la vie des Britanniques, ce à quoi ils ne s’attendaient pas. Redevenir une île, une vraie, ne leur a pas apporté le bonheur attendu. On leur assurait qu’ils retrouveraient le contrôle des flux migratoires. Ce n’est pas le cas. Même si les enregistrements de demandes d’asile sont très inférieurs à ce qui se passe en France ou en Allemagne.

En France, la campagne électorale a débuté. Et les candidats surfent tous sur la crainte des migrations à venir, rivalisant de mesures les plus sévères et les plus contraignantes. Ils pensent répondre ainsi à l’inquiétude, réelle, des Français. Redoutant de paraître faibles, ils font dans la surenchère.

Le drame survenu dans la Manche a été un choc. Mais depuis le début de l’année, plus de 23 000 migrants ont réussi la traversée, et les tentatives ont doublé ces dernières semaines. Il y a déjà eu des naufrages et des morts. Les migrants viennent surtout d’Iran, d’Irak, de Syrie, du Soudan. La chute de Kaboul alimente le flux migratoire et a mis les projecteurs sur la fuite des Afghans, suscitant de nouvelles craintes.

Un destin commun

Entre la France et le Royaume-Uni, tout est prétexte à bisbille. Depuis plusieurs semaines, ils se disputent sur les droits de la pêche, sur le règlement de la frontière nord-irlandaise. La France a imaginé couper l’électricité à Jersey ou bloquer l’accès des bateaux anglais aux ports français. Boris Johnson a mobilisé la Royal Navy. Les prémices ridicules d’une improbable guerre de Cent Ans.

Le chevelu fantasque et l’énarque rationnel ont peu de choses en commun. Ces deux-là ont pourtant intérêt à s’entendre. Et ils s’entendront finalement. Mais l’épisode s’ajoute aux précédents et accroît le sentiment amer de la dégradation des relations en Europe. A l’heure où les troupes russes se concentrent aux frontières de l’Ukraine, ce n’est pas un bon signe. Le Royaume-Uni n’est plus dans l’Union. Il n’en demeure pas moins un État européen, imbriqué dans l’économie de l’Europe et soumis à un destin commun, quoi qu’il en pense ou écrive.

André Crettenand

La lettre internationale :  Genève, quel futur à l’heure du virtuel – Metin Arditi libelliste – IA, la nouvelle odyssée – woke, ça débat et ça clive – le numérique, c’est la féodalité ? – Migrations italiennes, Histoire Vivante raconte – Genève fait son cinéma.