Des talibans invités à Genève à l’appel d’une ONG — Genève Vision, un nouveau point de vue

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«Vingt-trois millions d’Afghans sont maintenant sous le seuil de pauvreté et se trouvent dans une situation humanitaire désastreuse», a ajouté Alain Délétroz.

Selon ce dernier, le but de la rencontre est d’obtenir des garanties pour les acteurs de l’aide humanitaire. Il s’agit notamment de s’assurer que les fonds parviennent bien à la population afghane dans le besoin et que le personnel humanitaire puisse travailler dans des conditions sûres. «La confiance doit être établie entre toutes les parties», a déclaré Alain Délétroz.

L’Appel de Genève a aussi proposé à d’autres organisations de planifier une réunion avec les talibans, mais a refusé de dire qui d’autre les rencontrerait. Selon d’autres sources de Geneva Solutions, le CICR et MSF en font partie. En ce qui concerne la délégation afghane, Marie Lequin a expliqué que les représentants des talibans avaient été «désignés par le gouvernement en place pour être ici, de sorte à avoir la capacité d’influencer», mais n’a pas précisé qui en faisait partie.

Le DFAE (Département fédéral des Affaires étrangères) a également prévu de rencontrer la délégation de talibans cette semaine. «Les discussions visent à améliorer le respect des principes humanitaires, à promouvoir l’accès à l’aide humanitaire pour la population, et à sensibiliser la délégation afghane aux droits humains, y compris les droits des femmes et des minorités», a déclaré Paola Ceressetti, porte-parole du DFAE, précisant que la délégation suisse comprendrait des représentants de la DDC (Direction du développement et de la coopération) et des divisions Paix et droits de l’homme (DPDH) et Asie et Pacifique du DFAE.

Interruption de l’aide

Depuis le changement de régime, les pays donateurs ont mis fin à l’aide en gelant des actifs financiers d’une valeur de 10 milliards de dollars et en appliquant d’autres sanctions économiques pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il respecte les droits humains, en particulier ceux des femmes. Mais l’économie du pays, qui dépend principalement de l’aide étrangère, s’effondre à vive allure, laissant des milliers de personnes sans emploi ou sans salaire.

Le pays connaît aussi une grave sécheresse qui a ravagé les cultures des agriculteurs. Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui continue d’opérer dans le pays, a prévenu que si l’aide n’arrive pas rapidement, la moitié des 40 millions de personnes que compte la population afghane risque la famine.

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Les talibans ont plaidé pour que l’aide humanitaire soit renouvelée et ont multiplié les efforts pour débloquer les biens de l’État, sans grand succès. L’ONU a lancé en janvier un appel à l’aide record de 5 milliards de dollars, les pays s’étant pour le moment engagés à verser environ 419 millions de dollars. Elle avait déjà rassemblé 1,2 milliard de dollars d’engagements d’urgence en novembre 2021.

La question des femmes demeure un sujet de discorde, alors que des rapports attestant de l’écartement des femmes de la sphère publique, de l’emprisonnement de militantes et de filles interdites d’école ont suscité l’indignation des pays occidentaux et des défenseurs des droits de l’homme.

Marie Lequin a déclaré que la question des femmes avait été « constamment abordée » au cours des discussions avec les talibans. «On ne peut pas parler de santé ou d’éducation sans parler des femmes», a-t-elle ajouté.

Une délégation dirigée par le ministre afghan des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, était à Oslo, en Norvège, fin janvier, pour rencontrer des responsables occidentaux et des représentants de la société civile afghane. C’était le premier voyage de talibans en Europe depuis leur prise de pouvoir en août 2021, et depuis des décennies.

La ministre des Affaires étrangères norvégienne, Anniken Huitfeldt, a déclaré que les pourparlers, qui ont déclenché une modeste protestation des citoyens afghans à Oslo, ne représenteraient pas une légitimation ou une reconnaissance des nouveaux dirigeants, qui n’ont par ailleurs encore été reconnus par aucun pays, a rapporté Al Jazeera. Les talibans ont toutefois présenté la réunion de cette manière, Amir Khan Muttaqi ayant déclaré dans une entrevue avec l’Agence France Presse que «concernant le processus de reconnaissance […] nous nous sommes rapprochés de cet objectif».

Paola Ceresetti a précisé que «la présence de la délégation de talibans sur le territoire suisse ne représente pas une légitimation ou une reconnaissance des talibans».

«Genève est une plateforme impartiale qui permet de relever les grands défis de notre époque grâce au dialogue. Cela implique d’inviter tous les acteurs qui peuvent jouer un rôle dans la quête de solutions. Il est donc important de discuter avec les autorités de facto du pays», a-t-elle ajouté.

En écho, Alain Délétroz a déclaré que le fait que les talibans discutent avec l’Appel de Genève ne les «légitimait pas pour autant». «Ce qui les rendrait légitimes, c’est le respect de toutes les obligations internationales de l’Afghanistan en vertu des conventions internationales», a-t-il précisé, notant que l’un des buts de la visite était de leur faire connaître leurs obligations internationales et les défis auxquels ils sont confrontés pour obtenir le soutien de la communauté internationale.

«Le dialogue est toujours la solution à toutes les crises. Nous devons en tirer parti pour le changement, et nous voyons du changement. Nous constatons que les talibans cherchent du soutien», a conclu Marie Lequin.

Article de Michelle Langrand pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli