Des ONG chinoises s’installent à Genève les unes après les autres — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Mais l’avenir pourrait se dessiner plus à l’est. En effet, l’intérêt des organisations basées en Asie du Sud-Est n’a jamais été aussi grand, selon le Centre d’Accueil de la Genève Internationale (CAGI).

L’organisation, qui aide les nouveaux arrivants à s’installer en ville, a déclaré à Geneva Solutions qu’elle avait reçu un nombre sans précédent de demandes de la Chine et d’ONGs basées en Inde, qui cherchent à ouvrir des bureaux de représentation.

Compte tenu du coût élevé de la vie et de la cherté des loyers commerciaux dans la région genevoise, il peut s’écouler un certain temps entre le premier contact et l’ouverture du bureau.

A ce jour, les demandes des organisations indiennes ne se sont pas concrétisées en ouvertures de bureaux. Il n’en va pas de même pour la Chine, avec deux organisations actuellement enregistrées auprès du CAGI, et une troisième à venir.

Julien Beauvallet, responsable du service ONG au CAGI, estime qu’entre cinq et dix ONG chinoises ont contacté son service en 2021. Une quantité malgré tout réduite par l’impact de la pandémie, les organisations retardant leur déménagement potentiel.

«Si l’on compare par continent, en ôtant les initiatives locales soutenues par les acteurs de la Genève Internationale, il est clair que les demandes provenant de Chine et d’Inde sont les plus nombreuses», dit-il.

Un phénomène récent

La Fondation Amity, une organisation chrétienne d’aide humanitaire créée en 1985 et basée à Nanjing, a été la première ONG chinoise à ouvrir un bureau à Genève, en mars 2016.

Comme l’a expliqué le représentant Qian Xiaofeng, leur financement ne leur permettait pas d’embaucher du personnel à plein temps. À ce jour, il n’y a qu’un seul employé à temps partiel sur site. Mais ils ont eu la «chance» de trouver des bureaux bon marché dans le bâtiment du Conseil œcuménique des Églises (COE), au Grand-Saconnex.

L’un des facteurs déterminants de ce déménagement a été la proximité avec ses partenaires, y compris le COE : «Le fait d’avoir un bureau à Genève facilitera et accélérera à coup sûr la coordination et les interactions avec ces organisations», affirme Qian Xiaofeng. «Notre présence à Genève améliorera grandement nos contacts et nos liens avec la communauté humanitaire internationale.»

L’expansion des ONG chinoises et d’autres organisations caritatives à l’étranger découle de l’ouverture progressive de la Chine à la mondialisation. Jusqu’à récemment, le gouvernement chinois exigeait que les organisations de la société civile chinoise se concentrent sur des questions nationales. Elles n’étaient donc pas en mesure d’opérer à l’étranger.

Or depuis 2000, le pays a pris des mesures pour diffuser la culture et l’idéologie chinoises. Et ses organisations «sortent» du pays. Les Instituts Confucius ont été les premiers à se jeter à l’eau en ouvrant des bureaux à Séoul, en Corée du Sud, en 2004, puis à l’Université de Genève, en 2012.

D’autres organisations ont suivi: «Amity a commencé à explorer la possibilité de «sortir» vers 2010, en envoyant du personnel pour dispenser des formations sur le biogaz et participer aux secours aux sinistrés dans des pays d’Afrique et d’Asie», explique Qian Xiaofeng.

Depuis, plusieurs organisations se sont intéressées à l’écosystème de la Genève Internationale. En suivant les traces de la Fondation Amity, la Child Law International Alliance (CLIA), une organisation de défense des droits de l’enfant soutenue par un centre de recherche juridique à Pékin, s’est installée à la Maison de l’Environnement, à Châtelaine, en 2019.

Elle sera rejointe par la Fondation Peaceland, une organisation d’aide humanitaire basée à Pékin qui se concentre sur les catastrophes naturelles et les secours post-conflit, et qui ouvrira un bureau à Genève avant la fin de l’année.

L’ONG a notamment participé à l’opération de sauvetage d’une équipe de football junior piégée dans une grotte en Thaïlande, qui a fait les grands titres au niveau international en 2018.

Comme la Fondation Amity, Peaceland a d’abord ouvert des bureaux au Liban, au Cambodge et au Zimbabwe, avant de planifier son déménagement en Suisse.

«Toutes les organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, ont des bureaux à Genève. Genève est donc un bon endroit pour nous retrouver au sein du cercle, avec les autres acteurs humanitaires», déclare Zhan Weizhen, coordinateur de projet pour le Bureau de Genève.

La jeune organisation est actuellement à la recherche de bureaux à Genève, explique Zhan Weizhen, qui sera probablement une opération menée par un·e seul·e employé·e, afin de «minimiser les coûts». Elle a aussi actuellement un employé en poste fixe à Genève pour faciliter la transition.

Accueil mitigé des acteurs locaux

Avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs se dessine la perspective d’un avenir plus inclusif pour la Genève Internationale, comme l’explique Julien Beauvallet: «Personnellement, je vois cela d’un œil très positif. Pour dire les choses simplement, cela reflète mieux la diversité des sociétés civiles de divers pays.»

Mais tous les acteurs internationaux de Genève, dont la grande majorité sont Occidentaux, ne voient pas les choses du même œil

«Je ne suis pas sûr que ces ONG soient toujours bien accueillies. Les acteurs occidentaux et historiques les accueillent avec méfiance, et peut-être à juste titre», précise Julien Beauvallet.

La Fondation Amity, pour sa part, affirme qu’elle n’a pas connu de réaction négative jusqu’à présent: «À notre connaissance, les ONG internationales, en particulier les partenaires d’Amity, ont été très accueillantes et aidantes lorsque nous leur avons fait part de notre intention», ajoute Qian Xiaofeng.

Amity siège aussi au conseil d’administration de deux réseaux internationaux d’ONG dont les secrétariats se trouvent à Genève, ACT Alliance et le Conseil international des agences bénévoles (ICVA), tous deux à Genève depuis des décennies.

La Fondation Peaceland, en revanche, a été accueillie avec un mélange de surprise et de curiosité. «Peu d’ONG chinoises ont fait ce type de démarche par la passé. Quand nous venons à Genève, les gens disent toujours: Ah, vous faites cela? Vous êtes une ONG chinoise?» raconte Zhan Weizhen.

«Il n’y a pas encore eu de grande réaction, car nous venons d’entamer les démarches, il y a deux ou trois mois. Lorsque nous communiquons avec d’autres organisations, elles sont toujours surprises qu’une ONG chinoise fasse ce que nous faisons», ajoute-t-il. «De plus, je pense que les gens se sont peu à peu intéressés aux ONG chinoises et à la façon dont elles allaient travailler. Ils apprécient donc de communiquer avec nous, pour en savoir plus.»

Ces réactions sont peu susceptibles d’arrêter les ONG chinoises, qui cherchent à faire reconnaître leur travail. «En ayant un bureau à Genève, la capitale humanitaire, ces ONG ont accès à d’autres agences humanitaires, ce qui les légitime et leur donne de la crédibilité» résume Julien Beauvallet.

Un lourd historique

Cette réticence de la part de certains acteurs de la Genève Internationale ne vient pas de nulle part: elle est liée aux prétendus liens entre certaines ONG chinoises et leur gouvernement national.

Ce phénomène des «organisations non gouvernementales organisées par le gouvernement» (GONGO) – un label ironique désignant les organisations lancées ou parrainées par un gouvernement pour faire avancer son agenda politique – n’est pas nouveau. En 2015, Reuters en a identifié 34 en Chine continentale, à Macao et Hong-Kong, opérant au sein du système des Nations Unies en tant que GONGO, sur 47 ONG au total.

Selon un nouveau rapport d’une ONG basée à Genève, le Service International pour les Droits de l’Homme (ISHR), les ONG peuvent jouer plusieurs rôles, tel qu’intimider d’autres ONG ou militants des droits humains en prolongeant leurs interventions pour empêcher d’autres de participer, et en relayant des discours qui appuient le programme de leur gouvernement.

Le rapport de l’ISHR indique que sur les 28 ONG chinoises qui ont reçu une accréditation de l’ONU depuis 2016, une seule avait des liens clairs avec le Parti communiste ou le gouvernement chinois.

Au sein de la Fondation Amity, qui a reçu une accréditation des Nations Unies en 2014, quatre membres du conseil sur neuf occupent actuellement des postes officiels en Chine. Ils sont tous membres de la Conférence consultative politique du peuple chinois, un organisme consultatif composé de partis politiques approuvés par le gouvernement.

Cela ne signifie pas pour autant que ces organisations sont parrainées par le gouvernement. Après tout, les ONG sont souvent soutenues par les gouvernements.

Mais ce type de liens gouvernementaux, en particulier de la part d’organisations dont les sources de financement ne sont pas toujours accessibles au public, pourrait expliquer la réaction parfois méfiante d’autres acteurs du secteur.

Un secteur qui manque de surveillance

En toile fond, il existe aussi un problème plus large de classification au sein du monde des ONG basées à Genève, qui est parfois assez opaque.

Stephan Davidshofer, chargé de cours à l’Université de Genève, est l’auteur principal de la première étude cartographique de toutes les ONG internationales de Genève, publiée en 2019.

«Les ONG sont le royaume de l’approximatif: il n’y a pas de définition officielle», affirme-t-il. «Nous avons donc dressé cette liste officielle d’ONG à Genève, qui n’existait pas, ce qui est tout simplement fou.»

En rassemblant diverses listes d’inscriptions, y compris celles du CAGI et des Nations Unies, mais aussi la liste des ONG locales qui reçoivent des subventions des autorités suisses, son équipe a trouvé 759 ONG actives à Genève, soit près de deux fois plus que les estimations précédentes.

Or même cette étude est incomplète: la liste des organisations du rapport, que Geneva Solutions a consulté, ne mentionne pas la Fondation Amity, qui était déjà à Genève au moment de l’étude.

L’absence de registres officiels contribue au flou entourant certaines organisations et ne facilite pas l’identification de tous les acteurs du secteur.

C’est encore plus pertinent pour les nouveaux arrivants, comme les trois ONG chinoises, car la liste n’a pas été mise à jour depuis sa publication et ni la CLIA, ni la Fondation Peaceland, n’y figurent.

Ce problème reviendra sur le devant de la scène à l’avenir, lorsque d’autres organisations chinoises s’installeront dans la Cité de Calvin: «Il y en aura d’autres», confirme Beauvallet. «Mais, compte tenu des obstacles importants, notamment les contraintes budgétaires, je ne pense pas que nous devrions nous attendre à une vague d’ONG (chinoises)», conclut-il.

Article de Nicolas Camut pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli