De la peste à la grippe espagnole, ce que nous dit l'Histoire sur la fin des pandémies — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« Il y a deux manières de voir la fin d’une pandémie », affirme Patrice Bourdelais, historien démographe spécialiste des grandes épidémies, au micro de l’émission Tout un monde vendredi. « Par le bas – par le vécu quotidien de la population – et par le haut – par les autorités publiques. (…) Ces dernières ont alors une stratégie de sortie de crise volontariste, comme c’est le cas actuellement pour l’Espagne. C’est très politique, et c’est une première. Aucun pays, dans l’Histoire, n’a jamais pris l’initiative d’appeler les autres à décréter la fin d’une pandémie », relève-t-il.

Pour l’historien, cette initiative est liée également à l’existence, depuis 1949, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), institution internationale mise sur pied pour essayer de prévenir l’expansion des épidémies et qu’elles ne se transforment en pandémies. « Il y a une tension permanente entre la position de chacun des Etats et la position globale de l’OMS, qui a en tête la situation à l’échelle mondiale », explique le directeur émérite d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris.

Moins d’obsèques, signe de fin

C’est là que l’Histoire offre son lot d’enseignements sur la manière dont se sont terminées les grandes pandémies. « Dans la cas de la régulation des pestes en Europe, ce sont d’abord les populations qui s’apercevaient localement qu’il y avait de moins en moins d’obsèques, point crucial pour les habitants d’une ville ou d’un village », décrit Patrice Bourdelais. Vient ensuite la régulation par les autorités publiques, qui mettait fin aux mesures de contrainte mises en place à l’arrivée de la maladie.

Par le passé, certaines grandes épidémies européennes, en particulier la peste, ont pu nécessiter jusqu’à quatre ans avant un retour à la la normale, à l’instar de la peste qui ravagea la région de Marseille et l’Europe occidentale en 1720. Mais en comparaison des grandes épidémies du 20e siècle, la durée de la pandémie de Covid-19 commence à être « assez importante », souligne Patrice Bourdelais. Ainsi, la Grippe espagnole qui fit rage dès 1918 n’a duré « que » deux ans, avec quelques mois très intenses suivis d’un déclin rapide.

Une femme masquée devant une fresque à Soweto, en Afrique du Sud. [Kim Ludbrook – EPA/Keystone]

Si l’historien peut avancer ces comparaisons, les autorités sanitaires a contrario peinent à trouver dans les épidémies du passé une aide pour la gestion de la pandémie en cours tellement le décalage est grand – aux niveaux technologique, médical, d’information des populations, d’ampleur des échanges. « Même avec la dernière grande grippe qui a concerné l’Europe, la grippe de Hong Kong en 1968, les décalages sont considérables, et les comparaisons impossibles en termes d’utilisation immédiate », indique Patrice Bourdelais.

Rumeurs et complotisme, une constante

Ce qui change assez peu, en revanche, ce sont les réactions sociales des groupes – professionnels, politiques, religieux – et de la population. « Avec une forme d’inertie assez troublante, une peur panique, la dénégation, l’instrumentalisation des épidémies », énumère l’historien. « Et les populations ont redécouvert ce qu’est une grande épidémie, qui n’a pas eu lieu en Europe depuis la Grippe espagnole. »

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Au niveau de l’information, si la circulation des personnes et les moyens de communication ont bien changé – notamment avec la caisse de résonance constituée par les réseaux sociaux, des constantes se retrouvent également dans chaque grande épidémie: la désignation de responsables et de boucs émissaires, les rumeurs qui circulent et la désinformation. »Comme s’il était difficile pour une population d’accepter qu’un phénomène comme une épidémie s’abatte sans responsabilité particulière, sans courroux divin, sans empoisonnement des puits », note Patrice Bourdain.

La théorie de l’épidémie « créée de toute pièce » par exemple, telle qu’elle est relayée dans les sphères complotistes, n’en est pas loin: « Cela renvoie à la longue tradition des réactions populaires face à l’émergence d’une nouvelle pandémie », conclut le chercheur.

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Propos recueillis par Eric Guevarra-Frey

Adaptation web: Katharina Kubicek