L’incroyable s’est produit. Non qu’il fût impensable. Beaucoup l’annonçaient. Les signaux étaient évidents. Mais on ne voulait pas y croire. Pensant que la paix était durablement installée en Europe. Pariant sur un reste de bon sens de la part de Vladimir Poutine. Jugeant que la diplomatie avait encore un rôle à jouer dans ce monde « sorti de ses gonds ». Cette bonne foi n’est pas coupable. Les Occidentaux n’envisageaient pas de guerre. Vladimir Poutine, lui, l’avait déjà décidée. La sidération que nous éprouvons aujourd’hui nous honore.
On ne peut pas avancer que le président russe se défend et répond à des provocations de l’OTAN. Il envahit un pays souverain. Il bombarde des villes. Il tue des civils. Aucun missile ne menace son pays. Aucune puissance ne l’encercle, comme il le prétend faussement. Et quelles considérations géostratégiques pourraient-elles justifier pareil crime ? On s’installait dans la guerre froide, c’est une vraie guerre qui éclate, avec ses victimes, ses destructions, et son cortège de réfugiés.
Une habitante devant son immeuble, détruit par un missile le 25 février à Kiev.
L’Europe a péché par naïveté, ou par cynisme. Qui veut mourir pour Kiev ? Personne bien sûr, mais il y a des années que l’on connaît la menace. Nous n’avons pas tiré les leçons de la Crimée. Armer l’Ukraine, renforcer son système de défense, l’équiper en matériel performant, auraient dû être une priorité. Qu’elle soit dans l’OTAN ou non. Les États-Unis, à peine sorti d’Afghanistan, ne veulent pas s’engager dans ce conflit et on peut le comprendre. Mais l’Europe est en première ligne. C’est de son destin qu’il s’agit.
Le conflit change de nature. Il est désormais une bataille pour l’indépendance d’un État souverain au cœur de l’Europe. Ce qui est en jeu, c’est la préservation de la démocratie, le respect de valeurs fondamentales. Car c’est la démocratie que craint Vladimir Poutine, une démocratie florissante qui s’épanouirait à ses portes, contre-modèle gênant pour son régime autocratique.
Ce conflit est donc le nôtre. Ici et là, des voix disent qu’il faudrait entendre les positions de Poutine, que les choses ne seraient pas si simples, que l’Histoire complexe à l’Est depuis la Chute du Mur et l’effondrement de l’Union soviétique devrait autoriser des approches nouvelles. Ces propos sont insupportables. Rien n’efface l’acte de guerre.
Les équilibres en Europe se trouvent complètement bouleversés, sans doute pour longtemps. Les pays baltes, la Pologne ont de bonnes raisons de s’inquiéter.
Les sanctions n’auront pas d’effet à court terme. Poutine s’y est préparé. Il s’est ménagé des solutions, notamment avec la Chine. Mais c’est un pari sur l’avenir. Poutine n’a jamais semblé aussi fort. Il a fait modifier la Constitution pour pouvoir exercer la présidence jusqu’en 2036. Pas sûr pour autant que les états-majors et les oligarques ne pensent pas à un moment donné qu’il leur pose problème, et qu’il n’est plus l’homme de la situation.
La Suisse joue une partition complexe. Elle condamne, mais elle est soucieuse de préserver la place diplomatique que propose la Genève internationale. Elle évolue sur une ligne de crête. Elle ne pourra pas se désolidariser des Occidentaux. Ils n’accepteront pas que notre pays serve d’échappatoire aux oligarques russes. Un dilemme qu’il faudra résoudre sous peine de s’attirer l’opprobre internationale.
La lettre internationale du 26 février 2022 : Ukraine la sidération – Genève capitale des droits humains – Isabelle Gattiker, dernière séance – Paul Grüninger le doc