Crime et châtiment — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Il ne faudrait pas en parler. Mais la question nous taraude, bien sûr. La déroute de la deuxième armée du monde la rend plus actuelle que jamais. On voit rarement un dictateur en rabattre. On se dit donc qu’à la fin, il s’y résoudra. Et les connaisseurs de l’âme russe nous expliquent que l’on n’a pas là-bas la même appréciation du mal et de la brutalité. Alors ?

Les experts analysent à la moindre virgule les textes de la dissuasion, revoient les épisodes passés, la crise des missiles à Cuba par exemple, mais l’histoire ne nous apporte pas de réponses évidentes dans les circonstances actuelles. Ils relisent les discours de Poutine, jaugent les bienveillants de son état-major, seuls à même d’empêcher la tragédie finale. À la fin, ils souhaitent nous apaiser à tout prix en expliquant que le risque serait minime, et qu’il y aurait beaucoup de bluff, et que tout cela appartiendrait à la rhétorique de la peur.

« Le risque d’un emploi de l’arme nucléaire, dit, par exemple, le politologue Bruno Tertrais, semble donc extrêmement faible, sauf à ce qu’une éventuelle escalade du conflit conduise Moscou à estimer qu’il pourrait y avoir une menace de nature « existentielle » pour la Russie ». Autrement dit, on n’en sait rien.

Ce qui a changé, c’est que l’arme atomique n’est plus toujours considérée comme une arme de dissuasion. Elle a joué ce rôle durant la guerre froide. Elle est tenue pour telle par l’OTAN. Mais elle est brandie désormais par la Russie comme un moyen parmi d’autres de gagner la guerre, une arme offensive, en fait. C’est ce glissement sémantique qui effraie. Plus inquiétant : comment répliquer à l’utilisation d’une bombe nucléaire sur le sol ukrainien sans enclencher l’escalade fatale. À Washington, les généraux y travaillent. Les rodomontades de Biden que son équipe tente de calmer, pourraient signifier qu’ils n’ont pas encore trouvé la solution.

Ils comptent, un peu, sur la Chine et l’Inde, qui ont déjà marqué leurs réserves sur la guerre, et qui pourraient se désolidariser de la Russie en cas de recours à l’arme nucléaire.

En attendant, l’armée russe fait ce qu’elle sait faire : bombarder à outrance, à défaut de pouvoir résister au sol. Elle poursuit la stratégie de la terreur en visant les civils. Les centres-villes ici, une aire de jeux pour enfants là, des immeubles, un parc. Couper l’électricité, les réseaux internet. Créer le chaos, susciter l’effroi. Réponse d’un président vengeur.

Qui s’inscrit dans la continuité de ce que Poutine a entrepris depuis l’invasion le 24 février. Difficile d’y voir ce que le président français Emmanuel Macron appelle « un changement profond de la nature de cette guerre ». Surtout, la réplique conforte les États-Unis et l’Europe à intensifier leur aide. L’Allemagne, par exemple, fournit à l’Ukraine un système antimissile. Les opinions publiques européennes que l’on craignait de voir fléchir, retrouvent de l’empathie pour les Ukrainiens.

Le geste vengeur de Poutine nous renseigne surtout sur sa psychologie et sa volonté d’aller jusqu’au bout. Mais le dictateur devra répondre un jour de ses crimes devant un tribunal. Car cela arrive parfois, aussi invraisemblable que cela puisse paraître aujourd’hui. C’est aussi à cela que la fureur peut conduire.

André Crettenand