Covid-19: A l’origine du mal

5 février 2021

Le temps a passé depuis l’apparition du mal, une année déjà, et la mission qui est confiée aux scientifiques de l’OMS a tout d’un épisode de la série Cold Case. A la différence majeure que dans la série, les enquêteurs résolvent toujours l’énigme. A Wuhan, ce sera compliqué de clore l’affaire.

L’opération sied malgré tout à l’OMS qui peut ainsi témoigner qu’elle n’est pas complètement hors-jeu, qu’elle est une organisation incontournable et qu’elle est bien la seule à pouvoir aller sur place. Et elle convient aussi à la Chine qui témoigne ainsi de sa bonne volonté et d’un effort louable de transparence. A défaut d’une investigation fine, nous avons donc une opération de communication grossière. Mais comme souvent, la machine se grippe et la réalité s’impose. Les choses ne se passent pas comme prévu.

Keystone/Martial Trezzini

Le siège de l'Organisation mondiale de la santé à Genève.

Car à force de mettre des bâtons dans les roues de la mission, la nature cachotière du régime n’en ressort que plus fortement. Frontière longtemps fermée à la mission, visas délivrés à contre-cœur, quarantaine interminable imposée à l’équipe, impossibilité de collecter directement les données, obligation de travailler sur les résultats de leurs confrères chinois. Le parcours est balisé, les interlocuteurs sont choisis et contrôlés, les journalistes, tenus à l’écart. Avant la traque du virus, les tracasseries du gouvernement.

Au premier jour, les envoyés de l’OMS ont été emmenés dans un entrepôt frigorifique. Histoire de donner corps à une autre hypothèse, chinoise : le virus, surgelé, importé, serait venu d’ailleurs. Ils ont pu, ensuite, visiter les lieux emblématiques de la catastrophe : le marché aux animaux vivants de Huanan, puis l’Institut de virologie, soupçonné par l’administration américaine, d’avoir laissé s’échapper accidentellement le virus. Des visites brèves dont on ne sait si elles ont été fructueuses.

L’alerte initiale sera essentielle

Cette course d’obstacles pourrait sembler dérisoire. En fait, elle est désolante. Découvrir l’origine du virus et un enjeu crucial pour l’ensemble de la planète qui en est affectée. A l’instar des vaccins dont le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, souhaitait qu’ils fussent un bien public mondial, l’enquête de l’OMS en Chine est un enjeu mondial de santé publique. Mais l’injonction de l’ONU est restée, jusqu’ici, lettre morte. Echec de la solidarité devant une pandémie folle qui suscite la folie des Etats et une lutte sans concession. Il s’agit pourtant de savoir comment affronter, voire prévenir les épidémies à venir, qui pourraient se révéler plus meurtrières encore. Et dans cette perspective, l’alerte initiale sera essentielle. C’est une des leçons de la crise.

Les atermoiements de la Chine, son manque d’enthousiasme à accueillir des experts internationaux, tout cela est propre à alimenter les fantasmes et les théories du complot. S’il n’y a rien à cacher, pourquoi tant d’hésitations ? Et c’est bien le problème. On ne s’entend même pas sur la mission. Véritable « Enquête » pour l’OMS, simple « coopération » pour la Chine, « visite touristique » pour d’autres, tout se déglingue quand on ne s’entend plus sur les mots et leur signification. Ce qui est bien un peu l’un des maux du moment.

La mission est aussi un enjeu pour l’OMS, soucieuse de prouver son indépendance face à la Chine, contributeur de référence de l’organisation et de plus en plus puissant, dont elle a subi les pressions tout au long de la pandémie, et qui est accusée d’y avoir parfois cédé. L’OMS est tiraillée par les intérêts divergents de ses Etats membres comme le raconte Francesca Argiroffo dans un reportages récent de « Tout un Monde ». Le retour des Etats-Unis dans l’organisation ne changera pas fondamentalement les jeux de pouvoir.

Le virus, lui, s’en moque, il saute les frontières et n’a cure des batailles d’influence. On saura dans quelques semaines s’il a échappé aux enquêteurs du Cold Case onusien.

André Crettenand