Covax, né à Genève pour sauver le monde, est-il en échec? — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Lorsque Covax a été créé, l’objectif était de fournir la vaccination à 20% de la population de chaque pays. Mais cela s’avère difficile, car le directeur général de l’OMS a déclaré mardi 20 juillet que seulement 1% des personnes dans les pays à faible revenu ont reçu une livraison, ce qui démontre les véritables failles d’une action bien intentionnée.

Marcela Vieira, spécialiste de l’accès aux médicaments et de l’innovation au Global Health Centre du Graduate Institute Geneva, explique à Geneva Solutions le rôle de Covax pour mettre fin à la pandémie et certains des défis auxquels l’instance est confrontée pour assumer ce rôle.

Geneva Solutions (GS) : Selon vous, quel est le rôle de Covax dans la lutte contre la pandémie de COVID-19 ?

Marcela Vieira (MV) : Je pense que Covax a le potentiel pour être une solution mondiale, non seulement pour le Covid-19, mais aussi pour les pandémies à venir, et j’espère que cela est particulièrement pris en compte pour la préparation à d’autres pandémies. Mais il est clair que Covax, tel que nous l’avons aujourd’hui, a plusieurs lacunes importantes, qui rendent difficile la livraison des vaccins, un moyen fondamental pour mettre fin à la pandémie dès que possible. Cela découle de sa conception, mais aussi de son approvisionnement limité. Et pour son approvisionnement, il faudrait qu’il soit jumelé avec des politiques visant à accroître la production, comme la levée des droits de propriété intellectuelle et d’autres obstacles qui entravent la production.

GS : Quels étaient les problèmes de conception que vous mentionnez ?

MV : En considérant Covax comme un mécanisme autonome, le principal défaut de conception était qu’il repose fortement sur les dons pour les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire inférieur. Et nous constatons de plus en plus que ces politiques de dons sont limitées, parce qu’elles maintiennent les pays dépendants des autres pays qui leur font des dons. Ce mécanisme, et d’autres outils de santé mondiale qui reposent sur les dons, peuvent être limités, parce qu’ils ne renforcent pas la capacité des pays à devenir plus indépendants et avoir plus de souveraineté pour décider réellement comment traiter la vaccination de leur population dans leur propre pays.

En considérant cela comme un tout, y compris le C-TAP et d’autres centres de transfert de technologie, rien n’a fonctionné de la manière espérée, parce qu’aucune entreprise n’a décidé d’ouvrir et de rendre la technologie et les connaissances accessibles à d’autres producteurs dans d’autres régions du monde.

GS : Est-il trop tard pour remédier à ces défauts ?

MV: Les pôles de transfert de technologie commencent à progresser, bien que lentement. Si le savoir-faire technologique avait été partagé plus tôt, nous ne serions pas dans la situation actuelle.
Pour résoudre le problème auquel nous faisons face, à court terme, les dons permettront de combler un écart grandissant. Mais pour mettre fin à la pandémie et s’attaquer aux futures, il est important de partager la technologie. La renonciation à l’ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce) doit être approuvée dès que possible. Donc, ceux qui ont la capacité de fabrication réelle peuvent commencer la production sans se soucier des conséquences d’une contrefaçon de brevets, de poursuites par la suite ou d’avoir à payer des indemnités, et ainsi de suite.

GS : Covax était-il trop ambitieux dès le départ ?

MV : C’est un bon plan, mais au tout début, quand il avait l’objectif de 20%, ils se sont vite rendu compte qu’il y aurait un décalage dans les dons pour Covax. Je dirais naïfs, plutôt qu’ambitieux, en ce sens qu’ils pensaient que les pays qui avaient le pouvoir d’acheter les vaccins pour eux-mêmes accepteraient de fait de les attribuer uniquement par Covax. Le projet Covax a largement négligé le fait que beaucoup de pays ne voudraient conclure que des accords bilatéraux.

GS : Pourquoi les accords bilatéraux ont-ils nui au système mondial de partage équitable ?

MV : Les accords bilatéraux ont imposé des limites supplémentaires à Covax en termes d’inégalité des vaccins, tel que nous le voyons aujourd’hui. Les vaccins vont d’abord dans les pays à revenu élevé, puis à certains pays à revenu intermédiaire qui ont réussi à conclure des accords de fabrication avec certaines des entreprises productrices de vaccins. Alors que les pays à revenu moyen, faible et inférieur ne le pouvaient pas. Les accords bilatéraux ont donc créé d’énormes inégalités, là où les fabricants fixent leurs propres prix.
De plus, les ententes bilatérales réduisent la quantité de doses disponibles à distribuer par l’entremise de Covax. Une poignée de pays assurent déjà la majeure partie de l’approvisionnement, limitant la quantité nécessaire pour être partagée via Covax, ou même pouvant être achetée par d’autres pays. Ceci est en lien avec l’offre mondiale limitée. Ainsi, si nous augmentons l’offre mondiale, peut-être que les accords bilatéraux ne seraient pas un tel problème. Mais ce n’est pas le cas.

GS : Qu’est-ce qui est nécessaire à ce stade ?

MV : Ce sur quoi nous pouvons compter maintenant, c’est la volonté politique, qui fait cruellement défaut en ce moment. Covax ne fait partie d’aucun accord international et c’est pourquoi le traité pandémique propose d’inclure et de rendre obligatoire un mécanisme tel que Covax.

GS : Quelles sont vos attentes futures pour Covax ?

MV : Je m’attends à ce que les vaccins soient traités comme des biens publics mondiaux, comme nous l’ont dit un certain nombre de dirigeants de haut niveau au début de la pandémie, y compris en Europe, mais aussi dans toutes les agences des Nations Unies. Avoir des vaccins comme bien public mondial signifie la production mondiale de vaccins, qui ne seraient plus traités comme un produit commercial.

Une interview de Pokuaa Oduro-Bonsrah pour Geneva Solutions, traduite de l’anglais par Katia Staehli
 
Lire l’interview de Geneva Solutions en anglais