Contre la Russie, „les sanctions se substituent à l'engagement armé” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« Il est sûr que les sanctions directes contre des proches de Poutine, des représentants de la Douma (…) vont effectivement les affecter. (…) La sanction sur la Banque centrale russe, qui crée une très forte inflation en Russie, va affecter fortement les populations. Donc des effets, il y en aura », souligne dans « Géopolitis » Grégoire Mallard, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève. « Maintenant, si l’effet voulu est d’arrêter l’invasion russe en Ukraine et amener un cessez-le-feu, on voit que pour le moment ce n’est pas le cas. »

« Les sanctions doivent toujours être au service de la diplomatie, alignées sur des objectifs politiques », insiste le chercheur. Il met en garde contre « une démarche totalement moraliste, qui peut amener des tragédies. »

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Tels des « pogroms antisémites », selon Poutine

Dans sa dernière allocution au gouvernement russe, Vladimir Poutine fustige l’avalanche de sanctions qu’il qualifie de « blitzkrieg » économique, comparable aux « pogroms antisémites » des années 30. Visiblement déterminé à résister aux pressions occidentales, il a promis des aides financières à la population russe, particuliers comme entreprises, dénonçant une « stratégie consciente et à long terme » visant à « contenir et affaiblir » Moscou.

Dans ce contexte ukrainien, Grégoire Mallard pointe plusieurs écueils d’une escalade toujours plus forte des sanctions. « L’escalade jusqu’au-boutiste risque finalement de suggérer que l’Europe n’a pas clairement mis des lignes rouges, que les États-Unis n’ont pas mis clairement des objectifs de guerre réalistes. Et que finalement la seule option, c’est le changement de régime. Ce qui risque de ne pas arriver en Russie, tout comme ça n’est pas arrivé en Iran », estime-t-il.

L’arme des sanctions « comme fin en soi est aussi problématique, car cela sert de substitut à l’engagement armé », poursuit Grégoire Mallard. « Ces sanctions aujourd’hui répondent à une indignation morale des peuples européens ou américains vis-à-vis de ce qui se passe en Ukraine. Elles expriment aussi une forme de soulagement. Soulagement qu’il n’y ait pas d’intervention armée de l’OTAN sur le terrain ukrainien et que les sanctions s’y substituent finalement. »

Le rôle de la Chine

Politiquement, la Russie se retrouve aussi très isolée. Lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’invasion russe, seuls quatre pays se sont rangés du côté de Moscou: la Biélorussie, l’Erythrée, la Corée du Nord et la Syrie. Trente-cinq Etats se sont également abstenus. Y compris la Chine, ce qui représente tout même une victoire pour l’Union européenne et les Etats-Unis, selon le chercheur. « La Chine prend ses distances d’une certaine façon », commente Grégoire Mallard. « Par contre, elle reste le partenaire commercial le plus important de la Russie. Elle n’a pas annoncé d’embargo sur les exportations russes de pétrole. Au contraire, elle peut continuer à approfondir ses liens économiques avec la Russie. »

Au début de l’année, en marge de l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont signé plusieurs contrats gaziers, qui permettront notamment d’accroître les livraisons de gaz vers la Chine. Plusieurs médias américains ont affirmé que Vladimir Poutine aurait demandé à Pékin une aide économique et militaire pour financer sa guerre en Ukraine. Une aide qui lui permettrait de contourner les sanctions occidentales. Mais Moscou et Pékin démentent.

En dépit de cette posture prudente de la Chine vis-à-vis de l’intervention militaire en Ukraine, « l’amitié entre la Chine et la Russie est solide comme un roc », a assuré le ministre chinois des Affaires étrangère Wang Yi. Soucieux de préserver à la fois ses relations avec la Russie et avec les Occidentaux, Pékin joue les équilibristes. La Chine pourrait-elle pour autant se positionner en médiateur? C’est en tout cas l’avis du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, qui estime que la Chine est même « le seul médiateur possible dans le conflit. »

Mélanie Ohayon

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