Chisinau, avenir de l’Europe

2 juin 2023

On n’aura plus d’excuses pour ne pas savoir où situer Chisinau sur une carte. La capitale de la Moldavie, petit pays de 3,5 millions d’habitants enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, et dont une partie du territoire, la Transnistrie, est aux mains de séparatistes pro-russes, accueillait jeudi le 2e sommet de la CPE, la communauté politique européenne. Que de chemin parcouru depuis la fin de l’année 2022, lorsque la présidente Maia Sandu nous faisait part de ses craintes dans « Géopolitis » d’être la prochaine victime de la guerre en Ukraine. Des craintes justifiées depuis par de nombreuses tentatives de déstabilisation russes. Ce sommet réunissait autour d’elle la grande famille européenne aux intérêts souvent divergents et notamment par rapport à la Russie: 47 pays, dont la Grande-Bretagne et la Suisse, en froid avec Bruxelles.

Le président Erdogan, fraîchement réélu, a préféré passer un tour. Mais la CPE, qu’est-ce que c’est que ce nouveau machin, aurait dit de Gaulle qui ne les aimait guère ? Eh bien peut-être, avec la guerre en Ukraine qui fait rage au cœur de l’Europe, l’idée la plus intéressante depuis la création de la communauté économique du charbon et de l’acier en 1951, première organisation supranationale en Europe, dont son fondateur Robert Schuman voulait qu’elle rende la guerre « non seulement impensable mais aussi matériellement impossible ». Une idée lancée par Emmanuel Macron le 9 mai 2022, qui lui avait été soufflée par l’ancien premier ministre italien Enrico Letta. Il était venu nous en parler dans « Géopolitis ».

Keystone/Peter Klaunzer

Le président de la Confédération, Alain Berset, au 3e rang à gauche, Daniel Risch, premier ministre du Liechtenstein, au 2e rang à droite, Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine, devant au centre, et la présidente de la Moldavie Maia Sandu, devant, 3e depuis la gauche, prennent la pose pour la photo de famille avec d’autres chef·fes d’états européens lors du sommet de la Communauté politique européenne (CPE), au Château Mimi, à Bulboaca, en Moldavie, jeudi 1er juin 2023.

Mais le test de paternité révèle que c’est François Mitterrand, au sortir du grand remue-ménage de la chute du mur de Berlin en 1989 qui avait voulu créer une confédération européenne regroupant les Européens de l’ouest et de l’est, pas encore réunifiés, mais aussi et surtout l’URSS, ce qui avait fait capoter la proposition, l’hostilité américaine aidant. Belle occasion ratée! On se dit maintenant que cela aurait peut-être permis d’éviter à la Russie de basculer du côté obscur de la Force… L’idée de Mitterrand, assumée par Macron et Letta, était de savoir « comment structurer politiquement notre Europe », et de créer « une enceinte où puisse se nouer entre tous les États qui la composent, un dialogue permanent et organisé dans des conditions d’égale dignité ». Un forum sans agenda ni secrétariat, qui permet à des pays en conflit comme l’Arménie et l’Azerbaidjan, ou la Serbie et le Kosovo à nouveau à couteaux tirés,de se parler dans un cadre informel.

Mais l’urgence, il y a un an, était de donner une perspective à l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie venant de déposer un dossier d’adhésion à l’UE. Une urgence incompatible avec la lenteur des procédures, les pays des Balkans occidentaux, candidats depuis 20 ans, en savent quelque chose !

Et il ne fallait pas comme avec la Confédération européenne de Mitterrand, créer une sorte de 2e division, dont ne voulaient pas les pays de l’est, qui venaient de sortir de l’orbite soviétique. Une alternative à l’adhésion comme le craignait Volodymyr Zelensky, et qui serait en fait l’intention cachée d’Emmanuel Macron. Après avoir suscité la critique avec son souci de ne pas humilier la Russie, il assume maintenant clairement la nécessité de faire vaincre l’Ukraine et de lui donner les moyens de se protéger, qui seront discutés lors du sommet de l’OTAN à Vilnius le 11 juillet.

Reste le principal: à quoi sert la CPE, dont la Suisse ambitionne d’organiser un sommet en 2025, après celui de Madrid et de Londres l’année prochaine? Le sommet de Prague en octobre dernier avait permis d’identifier sept domaines de coopération concrète en phase avec les intérêts stratégiques européens: l’énergie, les infrastructures critiques, la cybersécurité, les jeunes, les migrations et la coopération régionale dans la Mer Noire et le Caucase. On peut aussi définir la CPE par ce qu’elle n’est pas, comme le fait Alexandre Adam, l’ancien conseiller Europe d’Emmanuel Macron, dans « Le Grand Continent »: « ni alternative à l’élargissement, ni duplication d’organisations existantes ou annonce d’une nouvelle organisation, ni alliance offrant des garanties de sécurité, ni réplique de l’Union européenne avec des liens plus lâches ».

Et nul doute que le message, principalement adressé à Vladimir Poutine, à 200 km à peine d’Odessa qu’il entendait conquérir, ce sera la photo de famille au château Mimi près de Chisinau, avec Volodymyr Zelensky en invité-vedette, venu réclamer « des invitations claires à l’adhésion à l’OTAN, et des garanties de sécurité tout au long du processus d’adhésion. » En serrant la main du président de la Confédération Alain Berset, il aurait d’ailleurs pu aussi demander à la Suisse d’autoriser la réexportation d’armes.

Jean-Philippe Schaller