« C’est celui qui dit qui l’est… » On se perd en conjectures sur la sortie de Poutine. Les plus critiques pensent qu’il a perdu la raison, d’autres qu’il ne savait pas quoi répondre à Joe Biden, d’autres encore, qu’il voulait ridiculiser le président américain. La drôle de réplique, en tout cas, est révélatrice du climat insolite qui règne dans les relations internationales.
Ces dernières semaines, on assiste à des échanges musclés, des accusations fortes, des propos cruels, bien loin de la culture diplomatique qui sied à un monde « normal ». Entre les Etats-Unis et la Russie, mais aussi entre le Royaume-Uni et la Chine, entre la Chine et l’Amérique, entre le Canada et la Chine, les accusations volent. La confrontation, le week-end dernier, entre Antony Blinken et le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi était de ce point de vue stupéfiante.
Le « c’est un tueur » de Biden à propos de Poutine ne l’est pas moins. On sent que les puissances ont besoin de frapper fort avant, peut-être, tout dialogue.
19h30 (18.03.2021)
A tel point qu’on pourrait craindre des effets néfastes pour la Genève internationale, place privilégiée de la discussion feutrée et respectueuse des formes. Si tout le monde s’engueule, ce sera plus compliqué de les amener à la table de négociation. Et les agences onusiennes sont devenues des lieux d’affrontement plus virulents encore, comme l’a révélé un article récent du Temps. On doit presque se réjouir que les échanges aient lieu à distance en ce moment.
Vladimir Poutine s’est amusé avec la comptine, tout en livrant une explication de texte un peu laborieuse disant que les reproches que l’on fait à l’autre sont comme un miroir de soi-même. Et qu’il en serait de même avec les peuples et leur vision des autres. Derrière la légèreté et la drôlerie du propos, qui vise à mettre les rieurs de son côté, Poutine cache mal son irritation. Le ton guilleret le trahit plus qu’il ne le croit. La réplique est une esquive, un refus d’entrer en matière, un déni. Poutine nie avoir commandité l’empoisonnement de son plus illustre opposant, Alexeï Navalny. Etonner, et déstabiliser, était encore la meilleure manière de dire la terrible colère qui l’habite certainement.
Sous nos yeux, et sur un mode spectaculaire, la géopolitique se rééquilibre à la suite de l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche. Mais ce n’est pas la seule raison de ce brouhaha. On assiste à la résurgence d’une « guerre froide », idéologique, entre les défenseurs de la liberté démocratique et les partisans de l’organisation autocratique.
Dans ces affrontements, personne n’échappe aux turbulences. L’Europe vient d’en faire l’expérience en décrétant des sanctions contre des officiels chinois dans le Xinjiang ; elle a essuyé en retour une série de sanctions, mais contre des députés européens qui dénoncent le traitement réservé aux Ouïghours. Difficile d’imaginer dans ces conditions que le Traité sur les investissements signé par l’Union européenne et la Chine puisse être ratifié par le Parlement européen. A Paris, l’ambassadeur de Chine a insulté le chercheur Antoine Bondaz, spécialiste de l’Asie et s’est vu convoquer au Quai d’Orsay.
Le positionnement de l’Europe dans ce nouvel ordre mondial en construction est un enjeu important. Joe Biden l’a courtisée lors du Sommet européen de jeudi. C’est que le président américain compte sur elle pour l’accompagner et le soutenir dans ses bras de fer avec la Russie ou la Chine. Mais l’Europe n’a pas de politique étrangère commune, elle est partagée, et surtout, elle craint pour ses relations commerciales.
Même la Suisse, qui peut se prévaloir d’une longue et amicale relation avec la Chine, est entraînée dans le maelström. Elle vient de publier son rapport 2021-2024 sur la stratégie envers la Chine et elle a mentionné les violations des droits humains. C’est un rapport d’une prudence extrême et qui ne prévoit aucun mécanisme de contrainte. Cela a suffi malgré tout pour inciter l’ambassadeur de Chine en Suisse à tenir une conférence de presse et fustiger le Conseil fédéral. Un épisode exceptionnel. Les Suisses n’en sont pas encore revenus.
La surenchère verbale qui imprègne ce monde chahuté peut-elle déboucher sur des conflits ouverts, plus graves ? C’est ce que tout le monde redoute et qu’il est impossible de prédire.