Ce qu'il faut savoir avant le débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« On est surpris à chaque élection de constater que les candidats peuvent faire le ‘casting’ », explique Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication, dans l’émission de la RTS Tout un monde. « C’est malheureusement la procédure en France. »

« Pratique quasi-monarchique »

Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a très peu choisi France 2 et sa journaliste phare pour ses interviews télévisées. Il a notamment refusé de participer à l’émission « Elysée 2022 ». « La présidence de la République a l’habitude pour les interviews du chef de l’Etat de choisir les journalistes », rappelle Philippe Moreau-Chevrolet. « C’est une pratique quasi-monarchique. »

La Société des journalistes de France 2 a fait part de son incompréhension le 4 avril dernier: « Monsieur Macron, malgré de multiples invitations et propositions, vous n’avez participé à aucun des rendez-vous politiques de France 2 (…). Vous vous êtes pourtant rendu chez nos confrères de plusieurs antennes. »

La @SdjFrance2 condamne toutes les pressions exercées par les candidats portant atteinte à la liberté de la presse. Soirée électorale, événement de campagne, interview en plateau, conférences de presse… Ce n’est pas aux politiques de choisir les journalistes qui les interrogent.

— SDJ France 2 (@SdjFrance2) April 13, 2022

France 2 ne serait pas au goût des macronistes, selon un proche du chef de l’Etat cité par Le Monde: « Quand je regarde le 20h de France 2, je déprime. Une partie des gens n’aiment pas qu’on tape sur ceux qui font. »

Le président Emmanuel Macron n’a pas apprécié une interview du Premier ministre de l’époque Edouard Philippe, le 17 mars 2020, menée par Anne-Sophie Lapix. Par ses questions, elle avait critiqué l’action du gouvernement dans la gestion de la pandémie de Covid-19.

« Hostilité » contre Marine Le Pen

Pour Marine Le Pen, le contentieux avec Anne-Sophie Lapix date de dix ans et une interview sur Canal+. « Elle n’arrive pas à dissimuler son hostilité vis-à-vis de Marine Le Pen à chaque fois qu’elle la reçoit », a expliqué sur CNews Jordan Bardella, président du Rassemblement national par intérim.

Le débat de l’entre-deux tours sera donc animé par les journalistes Léa Salamé, pour France 2, et Gilles Bouleau, pour TF1, le 20 avril à 21h00, ont annoncé les chaînes.

L’interview de Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication, dans Tout un monde

Les plans de coupe remis en question

La candidate et le candidat ont également eu leur mot à dire sur le réalisateur. Marine Le Pen a exprimé l’envie de « renouveler le genre », précise le directeur de l’information de TF1 Thierry Thuillier, cité par Le Monde. En 2017, l’émission signée Tristan Carné l’avait montrée fouillant dans ses dossiers ou réagir aux propos d’Emmanuel Macron par le fameux mime « Ils sont là ».

Cette fois, Didier Froehly sera à la manœuvre. D’ici à mercredi, les deux chaînes doivent aussi établir le cahier des charges de l’émission afin de respecter une parfaite « égalité et neutralité », précise Thierry Thuillier. Au cœur des discussions, notamment, les fameux plans de coupe des candidats, où on voit chacun réagir aux propos de son adversaire.

Tout contrôler

« Dans les années 1980, un certain nombre de règles, une quarantaine, ont été établies par l’entourage de François Mitterrand », indique Philippe Moreau-Chevrolet. « C’est quelque chose qui avait été imposé par les équipes du candidat de gauche, après trente ans de pouvoir de la droite, craignant d’être maltraité. »

Depuis, cela a « dérivé », juge Philippe Moreau-Chevrolet, en « une volonté de contrôle ». « Il faudrait mieux qu’il y ait des règles négociées entres les deux équipes des candidats, mais qu’on laisse les chaînes de télévision choisir les journalistes, par exemple. »

Outre France 2 et TF1, qui l’organisent, le débat sera diffusé par les quatre chaînes d’information en continu, BFMTV, CNews, LCI et franceinfo. En 2017, près de 16,5 millions de téléspectateurs avaient regardé le débat, déjà entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, sur l’ensemble des chaînes qui le diffusaient. C’était moins que lors des éditions de 2007 et 2012.

Les punchline, c’est ce qui est retenu

En 2017, le débat avait été désastreux pour Marine Le Pen, apparue fébrile et ne maîtrisant pas les dossiers, et avait contribué à sa défaite face à Emmanuel Macron.

Lors d’un entretien avec BFMTV mercredi, Marine Le Pen a tenté de minimiser la portée du débat de l’entre-deux tours. « C’est un moment important, mais une élection ne se joue pas uniquement sur un débat » même si en 2017 sa prestation n’avait pas été « particulièrement réussie », a-t-elle reconnu. Aujourd’hui, « je l’aborde très sereinement », a-t-elle affirmé.

Retour sur les moments forts du débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen en 2017

« Vous n’avez pas le monopole du cœur »

Le débat de l’entre-deux tours a aussi donné lieu à des répliques qui sont restées dans la mémoire politique française. Parmi elles, le « Vous n’avez pas le monopole du cœur » de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en 1974, le « Vous êtes l’homme du passif » du deuxième au premier sept ans plus tard, ou la répétition de la formule « Moi, président… » par François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012.

« Rattraper une mauvaise campagne avec un bon débat, ce n’est pas possible », estime Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication. « D’ordinaire, le débat est davantage du folklore, un rituel. (…). Là, c’est beaucoup plus disputé, car les marges entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont plus ténues. »

>> Le « Vous n’avez pas le monopole du cœur » de Valéry Giscard d’Estaing

Valentin Jordil/afp