Burkina Faso: le directeur d'Helvetas témoigne — Genève Vision, un nouveau point de vue

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swissinfo.ch: Vous étiez encore au Burkina Faso samedi. Dimanche soir, l’armée a fait un putsch contre le gouvernement de Roch Marc Kaboré. Que s’est-il passé?

Melchior Lengsfeld: La semaine dernière, nous avons visité quelques endroits où nous sommes engagés. Mais cela n’a été possible que de manière limitée en raison de la situation sécuritaire tendue. Dans les régions plus stables, nos programmes continuent de bien fonctionner. Mais il y a eu récemment une détérioration notable de la situation sécuritaire dans différentes régions du pays. Avec la dégradation parallèle de la situation économique et l’action de groupes d’opposition armés dans certaines parties du pays, le climat général est devenu de plus en plus délicat.

Samedi, des manifestations étaient annoncées dans la capitale Ouagadougou, mais elles ont été interdites. Un couvre-feu a par ailleurs été instauré. Des rumeurs de coup d’État imminent circulaient déjà la semaine dernière. Il était donc clair qu’une partie de l’armée était mécontente.

A la fin de l’année dernière, des militaires avaient déjà été arrêtés pour avoir prétendument planifié un putsch. La population y est-elle favorable?

Pour autant que nous puissions en juger, les réactions de la population sont plutôt positives. Beaucoup sont soulagés que quelque chose se passe. On ne souhaitait sans doute pas un coup d’État, mais le gouvernement n’a pu apporter une réponse efficace aux problèmes qui s’aggravent progressivement dans le pays.

La crise est multiple, car elle ne concerne pas seulement les groupes armés qui opèrent principalement dans les régions frontalières du nord, de l’ouest et de l’est. Le pays souffre également depuis longtemps de la sécheresse, trois millions de personnes vivent dans l’insécurité alimentaire, ce qui peut entraîner des handicaps à vie, surtout chez les enfants.

En raison du conflit, on compte un million et demi de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont certaines ont dû quitter leur maison à la hâte. La situation économique est très mauvaise. Les revenus – provenant par exemple de l’extraction de l’or ou de la culture du coton – ne sont guère partagés avec les régions, ce qui entraîne une érosion de la cohésion sociale. Dans certaines zones de conflit, les écoles sont fermées depuis des années. La situation est donc très tendue depuis longtemps pour de nombreuses personnes.

La violence et l’instabilité ne cessent d’augmenter au Sahel depuis des années. Était-ce une question de temps avant que le Burkina Faso ne soit lui aussi frappé par ces groupes armés?

C’est certainement un phénomène régional. La stabilité politique est également sous pression depuis longtemps dans les pays voisins, qui sont confrontés à des problèmes similaires. En ce sens, le coup d’Etat était attendu, car la réponse du gouvernement aux différentes crises dans le pays n’était pas assez visible. Il faut également dire clairement que le conflit étant si complexe, une solution purement militaire n’est pas possible.

De nombreux observateurs comprennent que l’érosion de la situation sécuritaire est en grande partie le résultat d’un développement insuffisant et d’un manque de perspectives pour de nombreuses personnes dans le pays. Cette situation ne peut pas être surmontée par des moyens militaires seuls, mais nécessite une stratégie globale de développement économique et social: centres de santé, écoles et opportunités économiques, notamment pour les jeunes.

Aujourd’hui, de nombreux jeunes rejoignent des groupes d’opposition armés, car ils n’ont tout simplement pas d’alternative ou de perspectives. D’une part parce qu’ils y sont poussés, d’autre part parce qu’ils obtiennent ainsi une solde. Pour certains, c’est la seule possibilité de toucher un revenu.

Crise économique, crise climatique, crise sécuritaire, plusieurs facteurs s’entremêlent. Quel rôle jouent les groupes islamistes qui opèrent également dans les pays voisins?

Le contexte islamiste est un facteur parmi d’autres. Il est certainement moins fort qu’en Asie centrale par exemple. Nous constatons en outre que nos projets peuvent souvent se poursuivre même dans des régions peu sûres. Nous sommes actifs dans l’approvisionnement en eau, dans le secteur de l’éducation, nous travaillons également dans le secteur agricole ou, par exemple, dans la construction de routes qui permettent aux gens d’accéder aux marchés, aux établissements d’enseignement et aux centres de santé.

Nous travaillons également avec des donateurs publics comme la DDC, l’agence de coopération de la Confédération. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été inquiétés par les groupes armés et les ONG internationales n’ont pas été la cible d’attaques.

Depuis combien de temps Helvetas est-elle présente au Burkina Faso?

Nous sommes sur place depuis 2003, avec actuellement une soixantaine de collaboratrices et collaborateurs locaux dans tout le pays. La population est très rurale, c’est pourquoi notre engagement est principalement axé sur l’accès à l’eau et à l’hygiène. Mais la construction de routes est également importante, ce qui – dans un pays où les infrastructures sont très peu développées – s’est révélé être un grand accélérateur de développement. Les programmes d’éducation constituent une autre priorité.

Je connais le pays depuis près de 20 ans. Nous travaillons avec les acteurs et le secteur privé locaux. Nous menons généralement nos programmes en collaboration avec les autorités élues. Cela crée de la durabilité et de la continuité. Car au Burkina Faso aussi, il existe désormais des partenaires solides qui travaillent de manière compétente et fiable. Il y a donc bien des évolutions positives qui donnent de l’espoir.

Que va-t-il se passer maintenant pour Helvetas sur place?

Pour des raisons de sécurité, nous avons suspendu notre travail pour le moment et nous observons la situation de près. Nous ne pensons toutefois pas que le coup d’État aura des répercussions massives sur nous, et nous espérons pouvoir reprendre le travail dans les prochains jours ou semaines.

En ce qui concerne le pays, le comportement futur de l’armée sera décisif, surtout en ce qui concerne la transition promise vers un ordre civil et constitutionnel. Le soutien de la société peut rapidement s’éroder si aucune solution n’est trouvée aux nombreux problèmes.

Giannis Mavris, pour swissinfo.ch