Poutine a-t-il une âme ? Le président américain en doutait il y a quelques temps. Et Biden est-il un vieil homme dépassé ? Poutine le dit volontiers. Eux seuls le savent désormais, qui se sont jaugés pendant plus de 3 heures.
Genève était le Sommet. Important bien sûr, décisif peut-être, historique surtout pour nous fiers hôtes, nappés de la nostalgie du précédent.
En fait, Genève n’était qu’une étape. Joe Biden est d’abord venu sur le continent. Au Royaume-Uni pour participer au G7, à Bruxelles pour cajoler les Alliés de l’OTAN, à Bruxelles encore, pour rendre visite à l’Union européenne. On peut dire que l’essentiel était acquis avant d’arriver au bord du lac. Presque un jour de détente avant de rentrer à la maison. Le sort du monde s’était joué plus tôt, ailleurs.
Joe Biden en conférence de presse après sa rencontre avec Vladimir Poutine
La grande affaire, c’est la Chine.
Joe Biden a obtenu ce qu’il voulait. Rassembler les alliés contre l’ennemi N° 1. Tout à la joie des retrouvailles, les Occidentaux, eux, en ont accepté la perspective, mais pas plus. C’est que le président leur parle de démocratie, de droits humains, aussi d’intérêts commerciaux, et qu’ils ne peuvent pas y être indifférents.
Mais en imposant son ordre du jour, le président rétablit le leadership américain. Ce n’est pas un hasard si la France l’a ressenti plus que d’autres. Emmanuel Macron renâcle, comme autrefois De Gaulle. Il trouve des accents hégéliens quand il revendique que « la France soit sujet de l’Histoire et non simple objet ». « Love », affichait la veste de Jill Biden en Cornouailles, au G7. Mais, on le sait, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour.
La séquence fut un succès pour Biden : désignation de la Chine comme ennemie principale, mobilisation contre la pandémie, investissements massifs dans les nouvelles technologies, besoin d’une alternative aux Routes de la Soie, dénonciation des violations des droits humains dans le Xinjiang et à Hong Kong. Comme le relève la New York Times, il y a trois ans, la Chine n’était même pas mentionnée dans le communiqué final du G7.
Là où le président américain a raison, c’est dans la nécessité de démontrer que les démocraties aussi sont capables de relever les défis de la planète. Mais il nous contraint à un choix binaire. On est avec lui, et donc pour la démocratie. Contre lui, et du côté des autocrates. On ne peut pas pour autant suspecter Joe Biden d’obsession. La Chine va bien devenir la première puissance économique et, quelques décennies plus tard, le leader stratégique. Sur le plan culturel, ce sera plus compliqué. La Chine ne fait pas rêver le monde.
A Genève, on était au cœur de la « guerre froide », selon le mot de George Orwell qui l’a inventé pour décrire une guerre sans guerre ouverte. On parle plus volontiers aujourd’hui de « guerre grise » où les champs de bataille cèdent la place à des escarmouches ciblées, où la guerre est cyber, où l’on privilégie le logiciel malin plutôt que le char d’assaut. Les fronts sont flous, les acteurs imprévisibles. Poutine, lui, judoka agile, joue sur les faiblesses de l’Occident pour porter ses piques. Il le fait admirablement bien. Biden, lui, compte sur une ligue des justes, qu’il s’efforce de constituer.
Genève, dernière étape de la tournée de Biden. Mais une étape importante malgré tout car elle a permis de jeter les bases pour des discussions sur des sujets aussi important que la cybersécurité ou les armes nucléaires. Peut-être un début de normalité entre les deux Etats, ce qui serait déjà un succès en soi. On le saura dans les mois et les années à venir.
A Paris, on reçoit volontiers à Versailles. L’or et le velours distraient l’écoute. A Genève, la bibliothèque austère de la Villa La Grange force la concentration. Et dehors, le « grand lac limpide », comme dit Romain Gary, inspire une « leçon de sagesse et de retenue ». Biden a été sensible à la magie des lieux : sa conférence de presse, il l’a tenue sur fond de Léman.
Une dernière étape européenne pour lui, une première sur le chemin de la paix.