Banques: penser „vert” ou disparaître, le dilemme — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Le changement climatique comporte de nombreux risques pour la finance. Les risques de catastrophes naturelles, tels que les ouragans ou les inondations, sont évidents pour le secteur de l’assurance. Mais les banques pourraient aussi faire face à des risques de réputation ou à des poursuites judiciaires si elles financent des projets polluants. Cela impacte la manière dont les banquiers travaillent et gèrent les risques.

La mesure traditionnelle d’évaluation du risque liée au retour sur investissement est peu à peu adaptée afin qu’elle intègre l’environnement et le social. Les acteurs financiers commencent même à surveiller les entreprises dans lesquelles elles investissent.

Si une banque vend les actions qu’elle détient dans une entreprise polluante, elles seront simplement rachetées par des investisseurs moins scrupuleux, explique Yves Mirabaud. « En tant que créancier ou actionnaire, il est préférable d’exercer une pression sur cette compagnie pour qu’elle adopte un modèle d’affaires plus propre » dit-il.

Des changements en cours ?

Des militants interpellent régulièrement les banques suisses à rendre des comptes sur les entreprises et les projets qui causent des dommages à l’environnement. On risque d’être épinglé au tableau de la honte lorsqu’il s’agit de déforestation dans le bassin amazonien et dans d’autres parties du monde, de déversement de pétrole de Norislk-Taimyr Energy en Sibérie ou le projet controversé d’oléoduc Dakota aux États-Unis.

Cela ne colle pas trop avec l’intention déclarée de la Suisse de devenir l’un des pôles mondiaux les plus importants de la finance durable.

Le changement d’attitude des investisseurs pourrait également exposer les marchés financiers à « des évolutions de l’offre et la demande de certaines matières premières, des produits et des services ». C’est ce que pense le groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TFCD: Task Force on Climate-Related Financial Disclosures). Des investissements jugés traditionnellement sûrs, dans des projets énergétiques par exemple, pourraient tourner à l’aigre.

La TCFD a été créée par le Conseil de stabilité financière pour aider les acteurs financiers à affiner leur gouvernance, leur stratégie, leur gestion des risques et leurs objectifs à la lumière des préoccupations croissantes en matière de climat. Le secteur financier suisse applique les normes TCFD pour l’évaluation des risques liés au climat.

Selon Martin Raab, membre du conseil d’administration de la start-up Global Green Xchange, les récentes exigences de la FINMA demandant aux banques d’annoncer ouvertement les risques climatiques qu’ils prennent pourraient se révéler compliqué à appliquer.

« Beaucoup de facteurs de risque climatique sont encore peu clairs, voire inconnus », a-t-il déclaré à SWI swissinfo.ch. « Quel est l’impact effectif d’une inondation en Italie ou de la disparition d’une partie du littoral néerlandais sur le bilan d’une banque? Quel sera l’impact d’un été plus sec sur la qualité de crédit des emprunteurs suisses? Il n’y a pas de réponse absolument mesurable. »

De coûts qui augmentent

Le WWF Suisse s’est félicité des nouvelles exigences réglementaires, mais a déclaré qu’il « regrettait » la réticence de la FINMA à imposer des normes contraignantes. « En l’absence de lignes directrices claires, juge-t-il, les données divulguées varieront considérablement d’une institution à l’autre. Du coup, les comparaisons et les évaluations seront difficiles et peu lisibles. »

L’ONG a aussi appelé la FINMA à étendre l’obligation de déclaration au-delà des plus grandes institutions financières suisses.

L’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) a déclaré à SWI swissinfo.ch qu’elle s’attendait totalement à ce que les petites banques soient intégrées à un moment donné dans les exigences de la FINMA en matière de déclaration des risques climatiques. Chez les cinq plus grandes banques actuellement visées par l’exigence, seule PostFinance n’applique pas le modèle TCFD pour la déclaration des risques climatiques. Mais, l’ABSP est consciente qu’elle doit encore faire des « efforts supplémentaires » pour répondre pleinement aux demandes de la FINMA.

Selon Martin Nerlinger, professeur adjoint à l’Université de Saint-Gall, il n’y a pas de doute que ces nouvelles exigences ajouteront du travail aux départements de compliance, et que cela entraînera probablement une augmentation des coûts.

« Cela exigera des investissements dans du personnel qualifié et dans les systèmes informatiques », précise-t-il. La FINMA, elle aussi, pourrait avoir besoin d’être renforcée pour évaluer les paquets de données transmises par les acteurs financiers.

Des bénéfices à réaliser

Mais cet effort financier est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, soit plusieurs milliards de francs chaque année jusqu’en 2030 au moins, selon l’OCDE et la Banque Mondiale.

Mais il y a aussi des gains à réaliser dans la reconstruction des infrastructures, l’émission d’obligations, les investissements dans les innovations, les énergies alternatives, les fonds verts.

On peut facilement montrer que l’investissement durable peut être moins volatil et offrir plus de garanties aux investisseurs sur le long terme que les investissements traditionnels, dit Daniela Stoffel, la Secrétaire d’État suisse aux questions financières internationales (SFI) lors d’une conférence organisée par l’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) ce mois-ci.

Zeno Staub, PDG de la banque Vontobel, dit tout de go : appliquer les critère de gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise (ESG) c’est « la seule stratégie gagnante » si on veut que la finance durable soit un succès.

Article de Matthew Allen pour notre partenaire SWI swissinfo.ch, traduit de l’anglais par Katia Staehli.