Faut-il réintégrer Bachar el-Assad sur la scène internationale ? Passer l’éponge sur les 500’000 victimes de la terrible guerre civile qui, le 15 mars, vient de rentrer dans sa 13e année, les 13 millions de déplacés – un Syrien sur deux ! – la pauvreté qui touche 90% de la population, alors que la clique au pouvoir se partage les milliards provenant du trafic de captagon, une drogue de synthèse très prisée au Moyen-Orient, la principale ressource d’un pays qui était autrefois prospère et reconnu malgré la férule impitoyable de Hafez el-Assad.
Le coup d’envoi à la normalisation avait été donné en 2022 par les Émirats arabes unis, 1er voyage d’Assad dans un pays arabe depuis 2011, suivi en février par une visite à Oman. Avec en ligne de mire la réintégration dans la Ligue arabe voulue par Alger, restée toujours fidèle à la ligne laïco-nationaliste autoritaire du régime baasiste.
Le Président syrien Bashar el-Assad écoute le Président russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre au Kremlin, à Moscou, en Russie, le 15 mars 2023.
Le récent accord saoudo-iranien sous parrainage chinois rapproche encore plus Assad des lambris et dorures des chancelleries orientales et peut-être occidentales. Rappelons seulement que les Saoudiens ont œuvré depuis 12 ans à le renverser quand le régime des ayatollahs l’a soutenu à bout de bras dans sa volonté de ménager un croissant chiite allant de Téhéran à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas.
Cette petite musique, on l’entendrait aussi à l’Elysée, selon un article du Figaro qui a fait beaucoup réagir. Une réaction très sévère en particulier de la journaliste et réalisatrice Garance Le Caisne qui présentait au FIFDH « Les Âmes perdues », un film consacré aux 100’000 disparus en Syrie et qui était invitée dans « Géopolitis ». «La position d’Emmanuel Macron est difficilement lisible. Quand il a été élu en 2017, il ne comprenait pas pourquoi on avait rompu les relations diplomatiques avec Assad. Mais je ne vois pas comment il pourrait reprendre contact avec Bachar el-Assad. »
C’est la classique opposition des réalistes, dont fait partie Macron dans la droite ligne gaullo-mitterrandienne et des moralistes en diplomatie incarnés, en particulier par les néo-conservateurs américains. En témoigne le récent débat à propos de l’Ukraine entre l’ancien ministre des affaires étrangères socialiste Hubert Védrine et deux historiens de gauche, Védrine estimant que les origines de la guerre en Ukraine sont à rechercher dans la faute de ne pas avoir inclus la Russie dans un vaste ensemble en Europe, comme le préconisait Kissinger, autre grand réaliste, dans les années 90. Ses contradicteurs mettant en avant la guerre civilisationnelle que mène Poutine contre l’Occident décadent et ses valeurs héritées des Lumières.
Des valeurs souvent mises à mal. Certains ont beau jeu de dénoncer le double standard. Et de rappeler, l’arrivée de Pinochet au Chili dans les valises de la CIA. Les interventions désastreuses au nom du « regime change » en Irak, en Afghanistan. Le soutien indéfectible américain au shah d’Iran et aux pires dictatures du golfe. Les mensonges du Secrétaire d’état Colin Powell sur les armes chimiques justifiant la guerre en Irak. L’intervention sans mandat de l’ONU contre la Serbie de Milosevic, etc.
Mais il y a des valeurs universelles. Comme l’écrit fortement Dominique Vidal dans « Le monde ne sera plus comme avant » (Editions Liens qui libèrent), « les valeurs sont universelles, faute de quoi elles relèveraient d’un discours hypocrite à géométrie variable qui les discréditerait ». Il n’est que de rappeler la Déclaration universelle des droits de l’homme dont on fêtera bientôt le 75e anniversaire, adoptée au Palais de Chaillot à Paris le 10 décembre 1948.
C’est au nom de ces valeurs universelles que les victimes de Bachar el-Assad et de Vladimir Poutine sont en droit d’attendre que, comme lors des procès de Nuremberg fondés sur l’accord de Londres du 8 août 1945 instituant la notion de crime contre l’humanité, elles voient un jour les principaux responsables répondre de leurs crimes.