„Avec la guerre en Ukraine, Erdogan se pose en acteur incontournable” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« La guerre permet au président turc de se positionner comme un acteur incontournable, un médiateur privilégié », souligne Anne Andlauer, correspondante en Turquie, notamment pour la RTS, et invitée de l’émission Géopolitis. Selon elle, Recep Tayyip Erdogan peut sans trop de difficultés endosser ce rôle puisque la Turquie a gardé de bonnes relations avec l’Ukraine et avec la Russie, malgré la guerre. « C’est aussi un moyen pour lui de montrer aux alliés occidentaux de l’Otan que, non seulement on peut compter sur la Turquie, mais aussi qu’on doit résolument compter sur la Turquie dans cette région du monde », précise la journaliste.

La Turquie dans l’Otan

La politique de la Turquie, membre de l’Otan depuis 1952, a suscité des craintes quant à sa fiabilité au sein de l’Alliance. Elle est très critiquée, notamment par les Etats-Unis, pour avoir acquis des missiles russes S-400. C’est aussi le seul pays membre à ne pas avoir imposé de sanctions économiques à la Russie, qui est aussi son principal fournisseur d’énergie. D’un autre côté, la Turquie soutient l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan et lui a fourni les fameux drones de combat Bayraktar TB2. Ils auraient notamment joué un rôle dans le naufrage du « Moskva », le navire amiral de la flotte russe en mer Noire.

Une position ambiguë entre les deux belligérants qui, selon Anne Andlauer, reste tenable « tant que la Turquie peut expliquer et prouver à ses alliés de l’Otan que cette position d’équilibre a un intérêt et une efficacité en temps de crise ». Mais si les négociations restent dans l’impasse et que la guerre se prolonge encore, cette position pourrait être de plus en plus difficile à justifier.

L’impasse économique

« Recep Tayyip Erdogan a intérêt à ce que cette guerre cesse au plus vite », explique Anne Andlauer, qui vient de signer La Turquie d’Erdogan, aux Editions du Rocher. Selon la journaliste, « la stratégie de la Turquie est plutôt à l’apaisement qu’à la tension. Recep Tayyip Erdogan a besoin d’un climat plus serein pour redresser son économie en ce moment ». La Turquie connaît une grave crise monétaire et économique. L’inflation a atteint plus de 60% sur les 12 derniers mois, au plus haut depuis vingt ans. La monnaie turque s’est effondrée, perdant la moitié de sa valeur face au dollar depuis début 2021. Des millions de personnes peinent aujourd’hui à se loger et à se nourrir.

Hausse du salaire minimum, baisse de la TVA sur certains produits de base, le président turc multiplie les mesures pour tenter d’enrayer la crise alors que les prochaines élections présidentielles se tiendront dans un an, en juin 2023. L’opposition espère capitaliser sur le mécontentement de la population face à la situation économique, mais, selon Anne Andlauer, elle doit encore trouver un candidat capable de rivaliser avec Recep Tayyip Erdogan.

« Sur le papier, Recep Tayyip Erdogan peut perdre », concède Anne Andlauer. « Mais on ne sait pas du tout dans quel contexte intérieur et international les Turcs iront voter dans un peu plus d’un an. Par ailleurs, Recep Tayyip Erdogan fera tout évidemment pour se maintenir au pouvoir ». D’ici aux élections de 2023, le président truc pourrait encore renforcer son emprise sur les institutions du pays et son contrôle sur la société civile. En témoigne, selon Anne Andlauer, la récente condamnation à vie d’Osman Kavala. Cet homme d’affaires et philanthrope turc est accusé d’avoir cherché à renverser le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, par son soutien aux manifestations antigouvernementales du parc Gezi à Istanbul en 2013, et lors du coup d’Etat raté de juillet 2016.

Elsa Anghinolfi