Au Soudan, „le risque d'une restauration autoritaire” — Genève Vision, un nouveau point de vue

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« Il n’y a plus d’eau potable, plus d’électricité dans un pays où il fait très chaud maintenant. Il n’y a plus de médicaments, à la fois parce qu’il y a eu des pillages et parce que des hôpitaux ont été détruits. Et puis il y a aussi un manque cruel de personnel soignant parce que beaucoup de gens ont été tués ou se sont enfuis », alerte Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris et invité de Géopolitis.

Les combats opposent deux généraux rivaux: d’un côté, Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du Soudan, à la tête des Forces armées du Soudan (FAS), l’armée régulière. De l’autre, Mohamed Hamdane Daglo, connu sous le nom d’ »Hemetti », numéro 2 de la junte au pouvoir, à la tête des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire.

Les zones de combat entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide.

Les dessous de la crise

Ces deux généraux avaient participé, en 2019, à l’éviction du dictateur Omar el-Béchir sous la pression de la rue. Ils ont ensuite pris les rênes de la transition avec un gouvernement civil. En octobre 2021, ils se sont alliés pour mener un coup d’Etat militaire. Ces derniers mois, les tensions entre les deux chefs étaient de plus en plus perceptibles.

« Des deux côtés, on avait des signes de réarmement massif, de recrutement massif, de redéploiement des troupes, notamment vers la capitale. La conclusion logique de cela, c’est qu’on allait se battre. Mais il faut le dire, des combats dans une capitale, c’est quand même quelque chose de totalement extraordinaire, d’inacceptable selon tous les principes », souligne Roland Marchal. Plus de 300’000 personnes se sont déplacées à l’intérieur du pays, pour fuir les zones de combat. Plus de 100’000 autres ont quitté le Soudan pour se réfugier dans les pays voisins. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), plus de 800’000 personnes pourraient être déplacées par le conflit.

Roland Marchal attire l’attention sur un autre acteur, moins visible, mais qui joue aussi sa carte dans le conflit actuel: le mouvement islamiste, très présent pendant les 30 ans de règne de l’ancien dictateur Omar el-Béchir. « Depuis le coup d’Etat d’octobre 2021, le général Burhane a réintégré des cadres islamistes dans l’appareil d’Etat civil et surtout a redonné davantage de pouvoir à des officiers islamistes », relève le chercheur. « On a à la fois une stratégie de confrontation entre ces deux généraux mais aussi, à terme, le risque d’une restauration autoritaire où le général Burhane pourrait disparaître au profit d’autres généraux sans doute plus proches des nostalgiques de l’ancien régime », poursuit-il.

Vers un conflit régional?

Troisième plus grand pays d’Afrique, le Soudan se trouve dans une zone stratégique et instable. Il se situe au croisement du Sahel et de la Corne de l’Afrique et son destin intéresse particulièrement ses voisins. L’Egypte aurait envoyé des avions et des pilotes en soutien au général al-Buhrane et à l’armée soudanaise. De son côté, le général Hemetti aurait reçu du matériel militaire du maréchal Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, selon le Wall Street Journal. Mais il pourrait tenter d’obtenir de l’aide de l’Ethiopie, rivale de l’Egypte et qui est toujours en conflit avec le Soudan sur le tracé de leur frontière.

Hemetti a encore des liens avec le groupe paramilitaire russe Wagner, présent dans le pays depuis 2017, et impliqué dans l’exploitation des précieuses ressources en or du Soudan. Enfin, il est aussi réputé plus proche des Emirats arabes unis que son rival, al-Burhane.

« Je crois que pour l’instant le degré d’internationalisation [du conflit] est relativement limité. Je ne dis pas qu’il n’existe pas. Il est manifeste du côté égyptien », estime Roland Marchal. « Les autres aides qui sont fournies relèvent finalement du secteur informel et d’accords marchands. Ce qui est sûr c’est que si cette guerre dure, elle va effectivement impliquer beaucoup plus les Etats de la région, pas simplement en termes d’effet sur leurs propres territoires mais également sur leur soutien ou leur posture vis-à-vis des deux protagonistes du conflit au Soudan. Ce serait dramatique parce que ça voudrait dire que les combats vont durer beaucoup plus longtemps au Soudan. »

L’ONU a demandé 445 millions de dollars pour aider jusqu’en octobre les plus de 800’000 personnes qui pourraient fuir les combats au Soudan, avertissant que la stabilité de la région était en jeu.

Elsa Anghinolfi / AFP