Le Nicaragua franchit un nouveau palier dans sa dérive autoritaire. Après avoir été emprisonnés, plusieurs opposants au régime du président Daniel Ortega ont été déchus de leur nationalité et expulsés vers les Etats-Unis. Des crimes contre l’humanité ont été dénoncés à l’ONU début mars.
Depuis les manifestations, qui ont fait plus de 350 morts, et la crise politique de 2018, la répression du régime de Daniel Ortega n’a fait que s’aggraver. Mais ces dernières semaines, celle-ci a franchi un palier supplémentaire.
Tout un Monde / 8h15 / 6 min. / 21.03.2023
La semaine dernière, une délégation composée d’opposants et anciens prisonniers politiques, déchus de leur nationalité et expulsés vers les Etats-Unis, est venue dénoncer au siège de l’ONU le gouvernement du président nicaraguayen. Medardo Mairena est l’un des cinq opposants qui se sont déplacés à Genève.
Leader paysan et candidat pressenti à la présidentielle de 2021, il a été emprisonné, torturé et a passé des mois en isolement. Le 9 février dernier, les gardiens de sa cellule l’ont fait monter de force dans un bus: « J’étais l’un des derniers à sortir et j’ai vu qu’il y avait un avion stationné à l’aéroport. Il y avait beaucoup de fonctionnaires américains de la migration. Ils m’ont dit « Bienvenue aux Etats-Unis ». J’étais heureux d’être libre, mais en même temps je me suis dit « Que se passe-t-il? Pourquoi nous envoient-ils dans un autre pays? » », raconte Medardo Mairena, dans l’émission Tout un monde.
« Quand nous avons atterris, nous nous sommes rendus compte que pendant que nous étions en vol, l’assemblée nationale du Nicaragua avait approuvé une loi pour nous priver de notre nationalité. Non seulement ils nous ont retiré notre nationalité, mais nos enfants ont perdu notre nom. Ils nous ont effacé du système. »
Plus de 200 opposants, journalistes, leaders politiques et religieux sont désormais apatrides. Au total, 222 personnes sont montées dans l’avion en direction des Etats-Unis. Une seule a refusé: Rolando Alvarez, l’évêque de Matagalpa, qui représente la plus haute autorité religieuse encore présente au Nicaragua. Il a été condamné à 26 ans de prison et est aujourd’hui considéré comme disparu, car personne ne sait où il est détenu.
La nouvelle n’est pas passée inaperçue au Vatican. Le 10 mars dernier, le pape François a véhément critiqué le président nicaraguayen. « Je le dis avec respect, mais je n’ai pas d’autres options que d’affirmer que [Daniel Ortega] est un déséquilibré. Nous avons là-bas un évêque en prison, un homme sérieux et capable, qui a tenu à témoigner et n’a pas accepté l’exil. C’est quelque chose de hors normes, comme si nous étions à nouveau dans une dictature communiste ou hitlérienne », a déclaré le souverain pontife.
Revoir : Le Nicaragua pourrait suspendre ses relations diplomatiques avec le Vatican
Au Nicaragua, la réponse a elle aussi été musclée. Managua a immédiatement suspendu les relations diplomatiques avec le Vatican, ce qui n’était pas arrivé depuis le milieu du 19e siècle en Amérique latine, souligne Maya Collombon, directrice du Centre d’études mexicaines et centraméricaines (CEMCA). « Le Nicaragua est un pays extrêmement religieux, où la majorité de la population est catholique et où la voix chrétienne est très importante », précise-t-elle.
Cette rupture avec le Saint-Siège aura des conséquences au-delà de la question religieuse. Les soutiens du président Ortega se comptent désormais sur les doigts d’une main. Le Nicaragua est notamment allié avec la Corée du Nord et la Russie. « C’est un pays qui s’est complètement isolé et n’a quasiment plus de relations internationales avec des Etats. Il connaît aujourd’hui une situation économique et sociale absolument dramatique », détaille encore Maya Collombon.
Plusieurs pays ont offert la nationalité aux 222 opposants nicaraguayens expulsés. Un geste de solidarité qu’apprécie Medardo Mairena, mais qui ne règle pas les questions de fond.
« C’est une nouvelle chance qu’ils nous offrent, mais nous voudrions surtout résoudre le problème du Nicaragua. Après nous, ils vont certainement continuer à bannir les gens. On ne peut pas laisser le pays comme si c’était la propriété privée de la famille Ortega. C’est la dictature d’une dynastie: Daniel Ortega est le président, Rosario Murillo, sa femme, est la vice-présidente, et leurs enfants sont ministres », avance-t-il.
La privation de nationalité, tout comme les détentions arbitraires, les exécutions et les tortures ont été dénoncées par des enquêteurs début mars au Conseil des droits de l’Homme, à Genève.
Lire: Les enquêteurs de l’ONU accusent le Nicaragua de crimes contre l’humanité
De son côté, l’ONU appelle la communauté internationale à imposer des sanctions contre le régime de Daniel Ortega.
Anouk Henry/ari