António Vitorino: «Nous avons en charge 50 millions de migrants dans le monde» — Genève Vision, un nouveau point de vue

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Bien sûr, ils doivent à la fois examiner leurs divergences et aborder ensemble les défis qui sont communs à tous. La migration, par exemple, est au cœur des Objectifs du développement durable, définis par l’ONU. Nous estimons que les besoins en aide humanitaire au niveau mondial vont augmenter cette année de 40% par rapport à 2020.

Quel est le défi majeur de l’OIM ?

C’est la pandémie du Covid-19 qui touche particulièrement les migrants. Avec les restrictions de voyage et la fermeture des frontières, les migrants ont vu leur situation s’aggraver. Les crises s’additionnent, elles sont à la fois sanitaires, économiques, humanitaires. Les agences des Nations Unies travaillent toutes à réduire l’impact de ces crises. Cinq millions de personnes sont sorties de la pauvreté extrême ces dernières années, mais elles risquent d’y retomber.

Vous avez été commissaire européen à la justice et aux affaires intérieures. Que peut faire l’Union européenne face aux drames des migrants en Méditerranée ?

Nous avons constaté une diminution globale de la mobilité humaine depuis début 2020 en raison de l’impact des restrictions liées au Covid-19, mais une augmentation sur certaines routes maritimes vers l’Europe, via l’Italie. Il faut absolument que les Etats lancent une initiative de sauvetage des migrants en mer. On ne peut pas laisser cela aux seules ONG.

Qu’en est-il de la Libye ?

Comme le HCR, nous ne considérons pas la Libye comme un port de débarquement sûr pour les migrants. Il faut que l’UE puisse disposer d’un autre port de débarquement. Et que les États membres de l’UE partagent une responsabilité commune pour l’accueil. Nous espérons que le Pacte sur la migration mis sur la table par la Commission européenne à la fin de l’année dernière sera adopté et qu’il sera une réponse aux flux migratoires venant surtout du Nord de l’Afrique et de l’Afrique subsaharienne.

La Suisse soutient la France concernant le Pacte sur les migrations. Est-ce important ?

La Suisse fait partie de la zone Schengen. Elle est partie prenante des accords sur le système européen d’asile et de protection des réfugiés. Toutes les voix sont importantes. Aucun pays, même le plus puissant, ne peut relever seul les défis de l’immigration.

Les États ont-ils vraiment la volonté politique de résoudre la question des migrants ?

Ce n’est pas un secret qu’au niveau européen, il y a différentes perspectives sur la façon d’aborder les défis migratoires. Les pays plus exposés du point de vue géographique, Chypre, la Grèce, Malte, l’Italie et l’Espagne souhaitent une solidarité accrue. Les pays d’Europe centrale et de l’Est sont moins sensibles et ont plus de réticences. Le Portugal, l’Allemagne, la France et la Suisse, eux, sont prêts à travailler à des solutions conjointes. Le Pacte est une tentative de trouver des solutions suffisamment flexibles pour accommoder les différentes perspectives, tout en respectant les obligations de coopération dans le projet européen. Il faut que tous les Etats de l’UE prennent conscience que seule une position commune peut répondre aux défis migratoires auxquels nous sommes tous confrontés.

Que faire pour venir en aide aux migrants syriens au Moyen-Orient ?

La crise syrienne dure depuis dix ans. Elle a généré le plus grand flux de réfugiés dans le monde. Ils sont accueillis surtout dans les pays voisins : en Jordanie, au Liban et en Turquie et dans certains pays européens. Il ne s’agit pas seulement de venir en aide aux Syriens déplacés à l’extérieur à cause du conflit, mais aussi aux Syriens déplacés en Syrie même : trois millions de personnes au Nord-Ouest et au Nord-Est de la Syrie, à Alep, à Idlib et au Kurdistan syrien. L’OIM mène des opérations à partir de la Turquie, à Gaziantep, pour soutenir un réseau d’ONG qui fournissent abri, nourriture et protection dans une zone non contrôlée par le gouvernement syrien.

La perception de l’administration Biden par rapport aux migrants est-elle différente ?

Oui. Je me réjouis des déclarations et des intentions du président Biden pour ce qui est de la situation à la frontière sud des Etats-Unis. Il prend en compte les causes de l’immigration au Mexique, au Honduras, au Guatemala ou au Salvador. Nous travaillons étroitement avec l’administration Biden, avec le HCR et l’UNICEF, pour apporter une protection aux mineurs non accompagnés et aux personnes qui ont déposé une demande d’asile à la frontière.

Luisa Ballin