Alors que les niveaux de famine grimpent en flèche, la „Gandhi du grain” met en garde contre les fausses solutions — Genève Vision, un nouveau point de vue

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L’activiste a écrit des livres et des articles et a figuré dans plusieurs documentaires prêchant les bienfaits de l’agriculture biologique et mettant en garde contre les dangers des OGM. Son franc-parler lui a valu des éloges et des critiques sur cette question très clivante au sein des groupements de défense des droits alimentaires, mais aussi de la communauté scientifique.

Alors que le déclin rapide de la biodiversité a forcé les pays à examiner très sérieusement la façon dont ils produisent et consomment la nourriture, la montée en flèche des niveaux de famine, due en partie à la guerre en Ukraine, les oblige désormais à revoir leurs craintes sur les cultures génétiquement modifiées, dont les partisans affirment qu’elles peuvent être résistantes au climat.

Vandana Shiva, qui était à Genève en mars pour prendre la parole lors d’un événement organisé par la Société de Lecture et le FIFDH (Festival du film et forum international sur les droits humains), a expliqué à Geneva Solutions pourquoi les OGM ne sont pas la réponse appropriée.

À la tête du mouvement anti-OGM en Inde

Cela fait plus de 20 ans que Vandana Shiva a commencé à confronter ses idées avec l’industrie agrochimique, lorsque Monsanto a introduit une variété de coton génétiquement modifié appelée coton Bt en Inde, sans l’approbation du gouvernement. « J’ai déposé une plainte contre Monsanto pour avoir introduit illégalement le coton Bt, et contre le gouvernement pour avoir ignoré le fait qu’un géant était entré dans notre pays », a-t-elle expliqué.

Cela a eu son effet durant quelques années, jusqu’à ce que l’entreprise obtienne les permis, et que le coton Bt reprenne le marché indien de ces semences, qui représente aujourd’hui au moins 80% de la production cotonnière mondiale. Depuis, nous assistons à une lutte de discours opposant celles et ceux qui vantent les vertus de la variété de coton résistante aux ravageurs, et celles et ceux qui lui reprochent la disparition de nombreux agriculteurs.

Les OGM sont des organismes dont l’ADN a été modifiée par la technologie, habituellement pour améliorer l’une de leurs caractéristiques, par exemple la résistance aux ravageurs ou aux herbicides, ou obtenir des rendements plus élevés. En produisant plus de nourriture sur moins de terres, les cultures génétiquement modifiées ont donné l’espoir qu’elles pourraient être la clé pour résoudre la crise de la famine. Mais de nombreuses questions demeurent concernant leurs avantages à long terme et leurs effets négatifs potentiels sur la santé humaine et l’environnement, les écologistes alertant sur le fait qu’elles menacent la diversité des plantes.

Ses détracteurs, à l’instar de Vandana Shiva, affirment qu’elles ont en fait encouragé l’utilisation de produits chimiques, qui sont produits par les mêmes entreprises qui possèdent la plupart des semences génétiquement modifiées, comme Monsanto et Syngenta. Lorsqu’il s’agit de décrire ces entreprises, l’activiste ne prend aucun détour, les qualifiant de « cartel des poisons ».

Plus important encore, Vandana Shiva leur reproche de piéger les agriculteurs, les forçant à s’endetter, ce qui les conduit au suicide. « Les entreprises tentent de rendre les agriculteurs dépendants de semences qui ne se renouvellent pas, ce qui les endette » a-t-elle déclaré, citant le fait que des centaines de milliers de producteurs de coton Bt se sont suicidés à cause de l’endettement depuis 1995. Une affirmation contestée par certaines études qui n’ont trouvé aucune preuve reliant ce type de culture à une flambée de suicides, mais qui ont constaté que le coton Bt a fait grimper les coûts dans certaines régions.

Malgré la forte opposition d’organisations de protection de l’environnement telles que Greenpeace, les gouvernements du monde entier, ébranlés par le ralentissement économique mondial, et qui luttent pour nourrir leurs populations, ont commencé à reconsidérer leur réticence aux aliments génétiquement modifiés.Le Kenya, où des millions de personnes souffrent d’une très importante insécurité alimentaire en raison d’années de sécheresse, a levé l’an dernier une interdiction de 10 ans sur le maïs génétiquement modifié, qui a démontré la production de rendements plus élevés que ses homologues non génétiquement modifiés. Récemment, l’Argentine, suivie du Brésil, a autorisé des essais sur le blé génétiquement modifié. Une première mondiale.

L’Union européenne, dont plusieurs pays interdisent la culture d’OGM, hésite également à assouplir ses restrictions sur les cultures manipulées génétiquement, qui pourraient mieux résister aux sécheresses et aux températures élevées. Contrairement à la modification génétique, la manipulation génétique joue avec les gènes d’une espèce, mais ne mélange pas l’ADN de différentes espèces. Pour Vandana Shiva, cette technique « est le nouvel OGM vendu comme naturel ».

Alors que les entreprises cherchent à inonder le marché de semences qu’elles possèdent au moyen de droits de propriété intellectuelle, l’Indienne alerte sur ce qu’elle appelle la « biopiraterie ». Les organisations de défense des droits humains ont elles aussi tiré la sonnette d’alarme : les droits de propriété intellectuelle empêchent les agriculteurs de conserver et de replanter des semences brevetées, ou les limitent dans cette démarche, les forçant à acheter davantage de semences à ces fournisseurs.

Pour contrer cette boucle de dépendance, l’organisation de Vandana Shiva, Navdanya International, a créé un réseau de banques de semences indigènes en Inde et au Bhoutan.

Vandana Shiva

Plus de nourriture n’est pas égal à plus de nutriments

Vandana Shiva s’interroge sur les bienfaits pour la santé d’une culture plus intensive et plus rapide. « La famine et les dommages écologiques causés par l’agriculture industrielle chimique font partie d’un même processus », a-t-elle confié. « La Révolution verte a marqué la première étape dans le fait d’oublier ce qu’est vraiment la sécurité alimentaire. La sécurité alimentaire, ce sont les nutriments dans votre alimentation. Des denrées vides vous maintiendront dans la malnutrition. »

Les scientifiques ont constaté que les niveaux de vitamines, de minéraux et d’autres éléments nutritifs dans les aliments ont fortement chuté au cours des 70 dernières années, selon le National Geographic. En produisant des rendements plus élevés, les pratiques agricoles intensives, telles que l’utilisation d’engrais chimiques et l’irrigation, ont également appauvri le sol de ses nutriments.

Vandana Shiva

Pour l’activiste, une partie de la réponse réside dans les millets, que l’ONU a décidé d’honorer cette année en promouvant ce superaliment connu pour sa valeur nutritionnelle. Cette céréale riche en amidon et en protéines est largement cultivée et consommée dans certaines régions d’Afrique et d’Asie, y compris en Inde. « Si nous cultivions des millets, nous n’aurions pas de crise et d’insécurité alimentaires, car les millets sont si robustes qu’ils peuvent pousser partout », a-t-elle déclaré.

Mais l’agroécologie se confronte à ses propres obstacles, avant de pouvoir se généraliser. Vandana Shiva admet que la distribution est le maillon faible du système. « Les agriculteurs peuvent passer à l’agroécologie, mais ils sont livrés à eux-mêmes. Nous avons donc besoin de marchés agricoles partout, pour que les agriculteurs viennent vendre ce qu’ils ont cultivé, par exemple dans une zone de 160 kilomètres à la ronde », a-t-elle ajouté.

L’agroécologie a également souffert d’une mauvaise presse récemment, après que l’interdiction des engrais au Sri Lanka, décidée du jour au lendemain, a dérapé et plongé le pays dans une crise économique. Accusée d’avoir encouragé le gouvernement à prendre cette mesure, Vandana Shiva nie avoir joué un rôle dans cette débâcle. « C’était une interdiction brutale, imposée par un président irresponsable qui avait plongé le pays dans une crise de la dette, et c’est pour cela que son peuple, son propre peuple, l’a chassé », a-t-elle expliqué.

Vandana Shiva

Article de Michelle Langrand pour Geneva Solutions, traduit de l’anglais par Katia Staehli