« Er kann Kanzlerin ! », dit-il, et tout est dit. Le candidat social-démocrate à la Chancellerie allemande, Olaf Scholz, a trouvé le slogan parfait. Il peut succéder à la chancelière Merkel, mieux, il peut devenir Angela. La formule malicieuse révèle beaucoup de l’état d’esprit du pays, qui adore sa « Mutti » et voit en elle la mère protectrice, qui préserve l’Allemagne des dangers du monde et lui garantit la prospérité tranquille qui sied aux pays du nord. Angela Merkel a assuré quatre mandats, connu quatre présidents des Etats-Unis, vu passer quatre présidents français.
Les Allemands aiment la stabilité et la seule durée de cet exercice dirigeant est déjà, pour eux, une raison de l’apprécier à sa juste valeur. Les Allemands font confiance à la grande Dame. Sa décision de 2015 d’accueillir un million de réfugiés a suscité quelques craintes, mais pas de drame. Angela Merkel maîtrise, rassure, quoi qu’il en coûte.
Alors, pourquoi changer ? Si Angela Merkel doit partir, autant trouver une autre « Mutti ». L’Allemagne ne connaît pas l’excitation du changement. Elle s’en méfierait plutôt. Les initiatives tonitruantes de son remuant voisin français lui inspirent généralement des frayeurs. Tous les candidats veulent devenir Angela. Le conservateur Armin Laschet se déclare successeur naturel. Annalena Baerbock, des Verts, s’affirme centriste. Ils ne rêvent pas davantage de changer le monde, ni de bouleverser l’Allemagne.
L’Allemagne va bien. Elle est une puissance économique, elle affiche peu de chômage. Le miracle allemand que l’on évoque bêtement n’en est pas un ; il est juste le fruit du travail et des efforts consentis. Dans tous les domaines, l’Allemagne va poursuivre son chemin. Si elle a accepté de lâcher du lest sur l’endettement en Europe, sous la contrainte de la pandémie mondiale, elle reviendra très vite à ses fondamentaux rigoristes. Les inondations de l’été ne changent pas trop les équilibres politiques. L’objectif d’une neutralité carbone en 2045 ne sera pas modifié. La sortie du nucléaire et du charbon est déjà programmée.
L’Allemagne mènera encore une politique extérieure réaliste qui consiste à faire des affaires avec Poutine, tout en comptant sur la protection des Etats-Unis. Tout porte à croire qu’elle en fera de même avec la Chine. Elle ne changera pas sa Loi fondamentale qui restreint beaucoup toute mission militaire. Du coup, l’autonomie européenne en matière de défense n’est pas pour tout de suite. Peu sensible aux larmes des autorités françaises pleurant la perte de leur contrat avec l’Australie, elle y voit une blessure d’orgueil. Elle constate bien que les Etats-Unis concentrent leur intérêt et leurs forces vers l’Asie du Sud et le Pacifique, mais elle veut croire au soutien indéfectible de son allié.
Bien sûr, l’Allemagne doit faire face aux défis de l’époque. Les menaces climatiques, la cyberguerre, le déclin démographique, et la numérisation de son économie, dont la crise pandémique a révélé les faiblesses et les retards. La pandémie a accru le sentiment que nous devions changer de modèle, être plus attentifs aux autres, plus respectueux de la nature, que nous devions privilégier le local, les circuits courts, produire dans le pays, être responsables dans nos modes de consommation. Toute élection, en Europe du moins, bruisse de ces thèmes. Les candidats à la Chancellerie, eux ne paniquent pas. On verra bien. On fera ce qu’il faut, en temps voulu. Quand d’autres s’agitent sur l’urgence à changer, l’Allemagne, elle, se soucie de bien administrer.
Ailleurs, le changement de dirigeant serait crucial. Pas ici. Ce temps des élections, qui est celui de la parole, ne lui convient pas. Pas étonnant que les débats soient peu relevés, insipides à nos yeux. Il est inutile de gaspiller le temps en vaines diatribes. Des actes et pas des paroles. L’Allemagne se veut la maîtresse du temps.
« Sa sécurité, sa croissance, sa puissance, et le soutien des peuples dont elle a besoin, vont exiger des révisions de ses politiques et des décisions audacieuses », dit Jean-Dominique Giulani, président de la Fondation Robert Schuman. Pas sûr pourtant que l’Allemagne soit en désir d’aventure. Les Allemands avouent ne pas vouloir la même grande coalition CDU/CSU/SPD, mais ils s’en accommoderont si elle devait s’imposer à nouveau, comme ils accepteront toute autre coalition.
Moins de passion, moins de grandiloquence, plus de réalisme. Nous nous réjouissons du spectacle électoral qui s’ouvre en France, mais, soyons honnêtes, ces Allemands pragmatiques, sérieux et raisonnables nous parlent davantage, et nous avons la faiblesse de croire que nous leur ressemblons un peu. Mais nous ne le disons pas trop.
A Berlin, il y aura bien à nouveau une « Kanzlerin ».